VI- Massif de Bohême
VI.1. Description du contexte géologique des sites d’étude
Le massif de la Bohême constitue la terminaison orientale de la chaîne varisque en Europe. Ce massif est formé par une dépression topographique interne circulaire encadrée par des chaînons montagneux dessinant une géométrie en losange (Fig. 79).
Le massif est caractérisé par une structuration principale héritée du cycle varisque. Elle est orientée N60-70 et affecte l’ensemble des formations anté-mésozoïques. Cette structuration est issue de l'orientation des granitoïdes ainsi que de la foliation des formations métamorphiques précambriennes (Svoboda, 1966). Les principaux chevauchements sont parallèles à cette orientation. Au sein du massif, il existe une symétrie en éventail entre le chaînon Nord à vergence Nord (zone Saxothuringienne) et le chaînon Sud à vergence Sud (zone Moldanubienne). Ces deux chaînons sont séparés par une unité médiane (le Barrandien) peu métamorphique et peu déformée.
Le domaine bohémien, parcouru par de grands accidents mésozoïques hérités de l’orogenèse varisque, est composé majoritairement par des terrains métamorphisés paléozoïques dévono-ordoviciens et par des granitoïdes varisques (Fig. 80). Des terrains sédimentaires et volcaniques, moins importants en terme de superficie, affleurent également et éclairent l’histoire méso-cénozoïque du massif (cf. VI.1.3.).
VI.1.1. Massifs annexes composant le domaine bohémien
En fonction des zones de reliefs actuels et des grands accidents tectoniques, la littérature subdivise le domaine paléozoïque bohémien en plusieurs massifs (Fig. 80).
Barrandien
Le massif du Barrandien situé dans la partie centrale du massif bohémien, représente une ancienne dépression sédimentaire de 20 kilomètres de large remplie par d’épaisses séries cambro-dévoniennes (Havlicek, 1981 ; Chlupac et al., 1998). Le Barrandien fait structuralement partie de l'unité Teplà-Barrandien. Cette unité est un bloc individuel d’âge Protérozoïque Supérieur en partie recouvert par des sériés carbonifères à permiennes. Le soubassement de cette unité est composé de métasediments faiblement métamorphisés et de roches volcaniques entourés principalement par des roches ayant subi un plus haut gradient métamorphique.
Sudètes au sens large
Les Sudètes sont une région historique qui abrite de nombreux massifs en son sein, tels que les Monts des Géants (avec par exemple d’Ouest en Est, le Luzické Hory, Krkonose, Gory Sowie, Orlické Hory, Jesenik). Cette région forme la ceinture montagneuse en fer à cheval qui entoure le Nord de la Bohême constituant une série de montagnes marginales de ~300 kilomètres de long sur ~100 kilomètres de large. Elles sont surélevées par plus de 1000 m de dénivelé au-dessus de la plaine au Nord et la différence d'altitude par rapport à la partie centrale du massif de Bohême est du même ordre. Les éléments en altitude sont très souvent formés par des roches cristallines du socle varisque. La continuité du chaînon des Sudètes est interrompue par une zone à topographie plus modeste. Les massifs du Jesenik (extrémité Est) et du Krkonose (extrémité Ouest) constituent les deux parties culminantes du chaînon.
Le massif du Jesenik constitue la zone de relief (Fig. 79) la plus élevée de la province nord-est de la Bohême (1491 m). Cette région est composée par un socle précambrien gneissique et en grande partie par des amphibolites. Ces lithologies appartiennent au faciès amphibolitique dont le métamorphisme est considéré d’âge Dévonien à anté-Dévonien (Souček, 1981).Deux plutons granitiques affleurent sur la zone centrale du massif. La bordure Est de ce massif est limitée par le grand bassin Carbonifère de Moravie. Ce bassin est en partie recouvert par la mollasse néogène des Carpathes occidentales sur son rebord oriental.
Les Montagnes du Krkonose (Monts des géants) constituent la région la plus haute dans le massif de Bohème (1603 m) et en second lieu la plus haute dans la ceinture périalpine, après le Massif Central français. Ce massif est caractérisé par une large paléosurface (Suk et al., 1984) située sur un plateau sommital (1300-1450 m). Le Krkonose est composé d’un pluton granitique varisque. Sa partie Sud est bordée par le bassin crétacé de Bohème, qui contient des sédiments dérivés de la région du Krkonose (Suk et al., 1984).
Erzgebirge/Krusné Hory
L'Erzgebirge (ou les Krusné Hory en tchèque) définit la marge nord-est du massif de Bohème. Le chaînon constitue un trait morphologique dans le paysage d'environ 130 km de long sur 40 km de large. Son altitude évolue progressivement jusqu'à environ 350-450 m au-dessus de son avant pays nord-ouest et d'environ 900 m par rapport à sa bordure nord-est (Fig. 79). La massif atteint une altitude pouvant dépasser les 1200 m. Sa bordure sud-est montre localement un escarpement, coïncidant avec l'épaulement Nord du Graben de l'Eger. La zone de faille de l’Elbe (initiée dès le précambrien : Lai, 1985), marque la terminaison nord-est de l’Erzgebirge et constitue une des plus longues zones de rupture d'Europe centrale, reconnaissable sur près de 500 kilomètres depuis la Basse-Saxe jusqu’au domaine Carpatique. L’Erzgebirge a été affecté par un haut gradient métamorphique anté-dévonien. L’extrémité Sud (Krusné Hory) est caractérisée par deux grands ensembles plutoniques varisques (Fig. 80).
Fichtelgebirge, Oberpfälzer Wald
La région sud-ouest bohémienne se compose de plusieurs unités tectoniques principales, telles que la zone Saxothuringienne, la zone de Moldanubienne dans laquelle est localisée le puit de forage de KTB (Continental Deep Drilling Project). Chacune d'entre elles possèdent une histoire métamorphique distincte (Franke 1989 ; Weber et Vollbrecht, 1989). Cette région est caractérisée par un volume important de granites post-tectoniques qui a intrudé le socle Moldanubien et Saxothuringien.
D'un point de vue morphologique, le Fichtelgebirge se divise en chaînes montagneuses disposées en fer-à-cheval. L'altitude du Fichtelgebirge atteint 1053 m (Schneeberg). Le soubassement du Fichtelgebirge est composé de granites précambriens (environ 750-800 Ma). Au nord-est du Fichtelgebirge se dressent les Monts Métallifères, au sud-est la forêt du palatinat supérieur (Oberpfälzer Wald) et la forêt de Bavière (Bayerischer Wald).
Le massif de l’Oberpfälzer Wald s'étend sur 240 km au Nord de la rive gauche du Danube et possède une largeur d'environ 200 km. Son point culminant est de 1456 m (Grosser Arber). Il constitue la ligne de partage des eaux entre le Danube et l'Elbe. Ce massif se compose d’un complexe plutonique varisque recoupant un ensemble gneissique protérozoïque (Fig. 80). Un réseau de failles majeures hérité de la structuration varisque (linéament Franconien) délimite la bordure sud-ouest du soubassement bohémien.
Fig. 79 : Répartition des reliefs du massif bohémien (MNT SRTM3) avec les profils altimétriques de quatre régions indiquant la position des accidents tectoniques ainsi que les échantillons présents au niveau des profils.
Thuringer Wald
Le massif bohémien possède une extension nord-ouest (région de la forêt thuringienne ou Thuringer Wald) sur une distance de 160 km et selon un axe SE-NW (Fig. 80). Le massif constitue un haut topographique par rapport aux épaisses séries triasiques environnantes. La Thuringer Wald est, d’un point de vue structural, un horst du socle Paléozoïque séparant deux grands bassins sédimentaires (bassin SW germanique et bassin Nord germanique). Le horst est composé sur à extrémité NW par plusieurs noyaux granitiques (complexe cristallin de Rhula et de Suhl) ceinturés notamment par des unités métamorphiques et volcaniques acides (Fig. 121). Le horst thuringien est recoupé par le système de failles majeures de la Ligne Franconienne. En raison de sa position, le massif a été affecté par de nombreux événements structuraux depuis l’orogenèse varisque.
Šumava / Böhmerwald
Le massif de la Šumava (Böhmerwald pour les allemands) constitue un chaînon d'environ 140 kilomètres de long formant le relief de la bordure sud-ouest du domaine bohémien selon un axe NW-SE (Fig. 79). Dans le paysage, la Šumava apparaît sous forme de plateaux arrondis culminant à une altitude moyenne d’environ 1000 à 1100 m. Le Mont Javor (1457 m) forme le point culminant de ce massif. La Šumava est constituée de roches cristallines métamorphiques (gneiss, paragneisses, mica schistes, orthogneis, granulites, migmatites) de la zone Moldanubienne intrudés par des plutons granitiques et des granodiorites varisques (Fig. 80).
Bayerischer Wald (Zone de faille du Danube)
Cette région est traversée par le système de faisceau de failles dont la grande faille du Danube et la faille de Pfahl. Ces failles majeures délimitent très nettement dans le paysage une zone de relief modéré d’axe NW-SE entre le massif de la Šumava et la vallée du Danube où cette dernière borde de manière immédiate le bassin molassique Nord alpin. Cette zone est composée par une multitude de plutons granitiques varisques ceinturés par un socle métamorphique précambrien (Fig. 80). Des lentilles de dépôts néogènes subsistent localement sur la bordure sud-ouest de cette région.
Waldviertel
Le sud-est bohémien est constitué par un important batholite varisque (Fig. 80) orienté selon un axe nord-sud (pluton Sud bohémien). Le batholithe est caractérisé par de multiples histoires intrusives. Sur sa bordure Est, des nappes structurales (nappes de Moravie), composées par des orthogneiss fortement cisaillés (Fig. 80) et par une couverture de métasédiments (métapelites, marbres), constituent une caractéristique essentielle de la frontière orientale du massif de Bohème au niveau de la Basse Autriche et la Moravie adjacente. Le pluton Sud bohémien représente le complexe plutonique le plus vaste du domaine bohémien.
Le massif de Bohême étant aux frontières de plusieurs pays, le tableau de correspondance des noms de massifs ci-dessous (Tab. 10) rappel les équivalences terminologiques. Les termes allemands seront utilisés. Les noms tchèques de massifs sont employés dans le cas où des séries d’échantillonnage ont été réalisées sur le territoire tchèque.
Noms allemands |
Noms tchèques |
Noms français |
Sudètes |
Krkonose, Jesenik, … |
Monts des géants |
Erzgebirge |
Krusné Hory |
Monts métallifères |
Fichtelgebirge |
Cesky Les |
- |
Thuringer Wald |
- |
Forêt thuringienne |
Oberpfälzer Wald |
- |
Forêt du palatinat |
Bayerischer Wald |
- |
Forêt de Bavière |
Böhmerwald |
Šumava |
Forêt de Bohême |
Tab. 10 : Correspondance des noms régionaux en appellation allemandes, tchèques et françaises sur le massif bohémien.
VI.1.2. Particularités structurales
La cartographie systématique de la linéation d’étirement dans les terrains métamorphiques a conduit à la reconnaissance de grandes zones de cisaillement et leur organisation en réseau (Malkovski, 1979 ; Rajlich, 1987 ; Franke, 1989 ; Matte et al., 1990). Ces décrochements divisent la structure interne et externe du domaine bohémien en une mosaïque de blocs structuraux subordonnés (Fig. 81) induisant une évolution géologique variable entre eux (Zeman, 1978). Ces grandes failles décrochantes ont joué en transpression et transtension soulignant un rôle prédominant dans la formation et l’inversion des bassins dans la province bohémienne.
Le massif de Bohême est limité sur ces bordures par les zones de décrochement qui forment une structure polygonale :
- La faille bordière des Carpathes (Est Bohême),
- La faille limitrophe des Sudètes (Nord Bohême),
- Le système de failles de l’Erzgebirge (Ouest Bohême),
- Le faisceau de failles de la Bavière (sud-ouest Bohême).
La disposition en horst des chaînons bordiers forme une structure losangique à l’échelle du massif. Cette organisation structurale serait une conséquence de l’existence d’une hétérogénéité lithosphérique rigide au niveau de la structure interne du massif (Rajlich, 1994). Cette hétérogénéité est également décelable au niveau de la profondeur de la discontinuité de Mohorovicic (Fig. 82).
L’épaisseur de la croûte apparaît plus importante au centre du massif (34 à 36 km selon Dèzes et Ziegler, 2005 ; et jusqu’à 39 km selon Bucha et Blizkovsky, 1994). Les hauts topographiques qui ceinturent le massif sont caractérisés par une épaisseur crustale plus faible (30 à 32 km selon Dèzes et Ziegler, 2005 et voire même jusqu’à 28 km selon Bucha et Blizkovsky, 1994). La distribution des grands accidents périphériques au massif semble être organisée par rapport à la zone centrale où cette dernière pourrait constituer un noyau plus résistant à la déformation.
VI.1.3. Enregistrements sédimentaires du massif bohémien
L’inventaire stratigraphique, à l’échelle du massif bohémien (Fig. 83), montre une grande variabilité dans l’histoire du contexte des dépôts sédimentaires. Le massif présente une histoire sédimentaire complexe depuis le Cambrien découpée par de nombreux hiatus au cours du méso-cénozoïque. L’enregistrement sédimentaire est partiel et variable en fonction des grands domaines structuraux composant le domaine bohémien. Différents systèmes de bassins existent sur le domaine bohémien.
Les séries sédimentaires préservées se sont déposées dans des environnements de dépôts variables (marin, côtier, fluvio-lacustre) d’une région à une autre (Fig. 83). Cette variabilité peut être certainement mise en relation avec un paléorelief présentant des différences altitudinales dues le plus souvent aux phénomènes tectoniques locaux.
Paléozoïque
L’histoire Paléozoïque de la Bohême est soulignée par le développement de nombreux bassins continentaux composés de dépôts dont l’âge est compris entre le Cambrien et le Permien terminal (Suk et al., 1984 ; Malkovsky, 1987). La première phase sédimentaire est antérieure à l'orogenèse varisque. Il en a résulté un bassin orienté N60 dont il existe actuellement un témoin sur la bordure Ouest du Barrandien (bassin Cambrien). Lors de la phase varisque, les principaux chevauchements sont parallèles à cette orientation.
Les principaux reliquats de la sédimentation paléozoïque sont encore conservés dans l’extrême Ouest de la Bohême, en Bohême centrale (sud-ouest de Prague) et notamment en Moravie (bassin Carbonifère) à la limite du système carpathique. Des bassins sédimentaires entre l’Ordovicien-Devonien et le Carbonifère supérieur–Permien terminal (Suk et al., 1984) se sont également développés. Ces bassins paléozoïques constituent le massif du Barrandien (bassin Paléozoïque de Prague) situé au sud-ouest de la zone saxo-thuringienne et le bassin de Moravie situé au front occidental du système carpathique.
Peu d'informations précises sont disponibles en ce qui concerne le contexte géodynamique global du Permien supérieur au Trias, faute de sédiments suffisamment datés et/ou conservés.
Trias-Jurassique
L’histoire sédimentaire mésozoïque est exprimée majoritairement par des formations crétacées. A part trois buttes témoins de taille très modeste, les séries triasiques et jurassiques sont totalement absentes dans le reste du massif (Fig. 84).
A partir de la transition Paléozoïque-Mésozoïque, le massif bohémien constitue une plate-forme épivarisque caractérisée par un régime continental dominant à partir du Mésozoïque (Suk et al., 1984). Des mers épicontinentales locales se sont développées au Trias inférieur ainsi qu’au Jurassique (du Callovien au Kimméridgien : Elias, 1981) dont les traces de ces dépôts s’observent par le biais de rares buttes témoins de superficie très réduite (quelques km²) au nord-ouest et au centre Est du massif (Fig. 84). Les dépôts jurassiques conservés les plus épais atteignent 52 m (Bosak, 1987).
Crétacé supérieur
Le Crétacé supérieur est majoritairement exprimé dans la partie septentrionale du massif au niveau de la zone de faille de l’Elbe qui constitue la vallée du même nom. Cette zone est parcourue par un large bassin d’axe NW-SE d’environ 300 km de long pour 100 km de large. Le principal exemple est le bassin Crétacé bohémien (BCB) qui possède l’enregistrement sédimentaire du Crétacé supérieur le plus complet (Fig. 85) dans les régions internes du massif. Le Crétacé supérieur de Bohême présente une sédimentation épicontinentale riche en éléments détritiques. Du point de vue stratigraphique, ce Crétacé peut être divisé en trois étages : le Cénomanien (conglomérats peu compacts, grès et argilites), le Turonien (marnes compactes et grès marneux), le Sénonien-Coniacien (grès, grès marneux, marnes et calcaire). Le BCB est comblé par des dépôts crétacés cénomano-turonien (Fig. 86) pouvant atteindre 990 m d’épaisseur dans les zones de dépôt-centre. Le Crétacé se termine en discordance angulaire sur les terrains primaires en direction du sud-est (Fig. 84).
Le BCB est un bassin intracontinental formé pendant la fin du Crétacé inférieur (Čech et al., 2005). Il a été généré par la réactivation crétacée d'un système de failles dans le soubassement varisque du massif de Bohème (Uličný, 1997, 2001). Ces zones de failles, ainsi que les zones de failles subordonnées d’axe NW - NNE, ont influencé de manière significative la topographie du bassin conditionnant la transgression marine de ce secteur pendant le Cénomanien. En fonction des éléments faunistiques fossilisés, ce bassin était alimenté depuis la Mer du Nord (Čech et al., 2005).
Dans le BCB, la transgression marine a créé une série sédimentaire de type estuarien (Fig. 85) avec un système de paléovallées (Čech et al., 2005). La stratigraphie locale durant le Turonien et le Coniacien a été dominée par des systèmes deltaïques silicoclastiques et de plate-forme (Fig. 85) provenant de « l'île occidentale Sudète » qui était un domaine émergé à cette période selon Klein et al. (1979) et Valecka (1979). L’établissement d’un système carbonaté hémipelagique (Fig. 85) est effectif sur le flanc du sud-ouest du bassin pendant le Turonien supérieur jusqu’au Coniacien inférieur (Laurin et Ulicny, 2004 ; Wiese et al., 2004). Les dépôts turoniens présentent un faciès marin fossilifère, marneux avec des épisodes plus carbonatés. Le faciès représente un environnement de dépôt qui était situé à plus de 200 m de profondeur (Wiese et al., 2004). Des dépôts continentaux d’origine fluviatile indiquent une phase régressive s’amorçant dès le Santonien.
Le système hémipelagique formé à proximité immédiate du système silicoclastique du BCB a subi une histoire transgressive-régressive complexe pendant le Turonien supérieur (Laurin et Ulicny, 2004). Les dépôt-centres hémipelagiques et silicoclastiques ont été séparés entre eux par la zone faillée de l’Elbe.
A la bordure SW bohémienne, des dépôts du Crétacé supérieur sont préservés seulement au pied d’accidents tectoniques (Ligne Franconnienne). Ces dépôts sont d’anciens cônes alluviaux possédant approximativement 500 m d’épaisseur. La fraction silicoclastique grossière serait issu de l’érosion du massif adjacent du Fichtelgebirge (Schröder, 1987 ; Klare et Schröder, 1990 ; Dill, 1995) et mettent en évidence le soulèvement du toit de cette ligne tectonique au Crétacé supérieur et au Paléogène inférieur. Contrairement à la tendance subsidente des régions centrales du massif bohémien, des zones de bordures présentent des événements de soulèvements structuraux.
L’ensemble des séries crétacées en Bohême est interrompu par une surface d’érosion commune aux différentes régions du massif (Fig. 86 et 96). A une échelle régionale, les enregistrements sédimentaires sont très variables en terme d’épaisseur de séquence (Fig. 86 et 96).
- Sur les régions septentrionales du massif bohémien, seuls les dépôts crétacés constituent l’histoire sédimentaire mésozoïque (Fig. 86). L’épaisseur maximale de Crétacé encore préservé atteint environ 990 m dans le BCB.
- La partie méridionale du massif est caractérisée par une absence quasi-complète de série crétacée et cénozoïque (Fig. 87). La seule accumulation significative de sédiments du Crétacé supérieur est conservée dans deux dépressions tectoniques séparées l’une de l’autre par un seuil cristallin. Ces grabens sont caractérisés par une profondeur d’environ 150 et 450 m (grabens de Trebon et de Ceské Budejovice ; Fig. 84). Ils contiennent des dépôts santoniens d'eau douce dont l’épaisseur peut atteindre 450 m.
Oligocène-Néogène
La plus importante zone de dépôts cénozoïques préservés s’observe au niveau du graben de l'Eger (Fig. 84). Le graben est rempli de roches volcaniques et principalement par des roches clastiques oligo-miocènes qui ont été déposées par des aires de drainage issues des secteurs environnants (Malkovsky, 1987). Les dépôts volcaniques associés syn-rift sont interstratifiés avec les sédiments détritiques dont l’accumulation atteint environ 770 m d’épaisseur (Fig. 86).
Le graben de l'Eger s’étend sur une longueur d'approximativement 350 km selon un axe NE-SW. Ce dernier est orienté parallèlement aux accidents varisques et aux bassins sédimentaires paléozoïques (Buday et Suk, 1984 ; Malkovsky, 1987). Il est divisé en trois bassins alignés sur 250 km de long et près de 45 km de large. A l'Ouest, le bassin de Cheb est orienté N160E et présente un remplissage sédimentaire asymétrique lié à une faille majeure à l'Est. A l'Est, les bassins de Sokolov et Nord Bohémien constituent la quasi-totalité du graben. Ils sont limités au Nord par une faille majeure (faille des Krusné Hory) qui induit un remplissage sédimentaire asymétrique (Malkovksy, 1987). Les appareils volcaniques sont alignés selon un axe SW-NE le long de la faille des Krusné Hory (Bellon et Kopecky, 1977). Ce graben est surplombé sur son rebord Ouest par les massifs du Fichtelgebirge et l’Erzgebirge où ces derniers délimitent un important escarpement de faille.
A partir de l’Eocène supérieur, la sédimentation du bassin de l’Eger est liée à l’extension du rift ouest-européen. Le remplissage du graben permet de définir deux phases de subsidence maximales durant l’Aquitanien supérieur et le Burdigalien inférieur où la sédimentation (dépôts continentaux gréseux) comble complètement la dépression (Chlupac et al., 1984 ; Malkovsky, 1987). La sédimentation a pris fin dans ce secteur à la transition Miocène inférieur et Miocène moyen (Ziegler et Dézes, 2005 ; Michon et al., 2003). L'évolution du graben de l’Eger a été reliée avec la réactivation tectonique des systèmes de failles délimitant le massif de Bohème au sud-ouest et au nord-est (Schröder, 1987).
Une étude récente (Rajchl et al., 2009) montre que l’origine du champ paléocontraintes de la première phase d'extension reste controversée et peut être attribué soit à l’effet de la racine lithosphérique alpine (peut-être plus probablement en raison du volcanisme dominant au début de la formation du graben) ou par l’installation d’un dôme en raison de la perturbation thermique de la lithosphère. En revanche, la deuxième phase d'extension est expliquée par un étirement le long de l’épaulement et soutient l'hypothèse d’une déformation lithosphérique récente au pied du système Alpes-Carpathes.
L’apparition du volcanisme post-rift du Miocène supérieur jusqu’au Plio-Pléistocène est contemporaine du début de la surrection de l’ensemble du massif bohémien (Michon et al., 2003). Le développement du volcanisme au sein du fossé Paléogène de l’Eger est en relation avec un amincissement lithosphérique de 30 % lié au contexte extensif au niveau de l’aplomb du graben.
Les séries cénozoïques sur les régions méridionales du massif sont exprimées uniquement sous forme de reliques sédimentaires isolées. Les séries cénozoïques préservées, essentiellement d’âge Miocène, possèdent des épaisseurs comprises entre environ 45 et 155 m (Fig. 87). Les séries cénozoïques en dehors des grabens (Blanice et l’Eger) subsistent sur le socle cristallin sous forme de lentilles dispersées dont l’épaisseur résiduelle maximale atteint environ 155 m.
La sédimentation de dépôts marins miocènes, depuis le bassin des Carpathes vers la partie Sud du Massif Bohémien, suggère que la région était proche du niveau de la mer (Ziegler, 1994).
Suivant leur situation, les dépôts cénozoïques en Bohême peuvent avoir trois origines. Ils peuvent être issus soit (1) du bassin polonais (faciès marin à détritique), soit (2) du bassin molassique Nord alpin (faciès détritique) soit du (3) du bassin molassique carpathique (faciès détritique). Les dépôts ne sont pas seulement préservés en bordure du massif mais s’observent également, de manière isolée, dans les régions internes (Fig. 83) telles que le Barrandien, le complexe plutonique sud-bohémien mais aussi sur le bassin crétacé bohémien.
VI.1.4.Phases d’émersion et d’altération
Des travaux proposent une synthèse des phases d'altérations kaoliniques en Europe de l’Ouest ainsi que sur le domaine bohémien (Migon et Lidmar-Bergström, 2001 ; Migon et Lidmar-Bergström, 2002). Bosak (1997, 2008) fait également une large synthèse des épisodes d’érosion a partir des paléosurfaces karstiques dans les différentes régions du domaine bohémien (Fig. 88). Différents types de saprolites sont connus dans plusieurs secteurs du massif bohémien. Ce sont des saprolites kaolinitiques argileux développés sur les roches ignées et métamorphiques (Lippert et al., 1969 ; Störr, 1983 ; Migon et Lidmar-Bergström, 2001).
Altérations mésozoïques
Dans les régions nord-ouest bohémiennes, une érosion suivi d’une altération à la fin du Crétacé inférieur est probable (Gilg, 2000). Un enregistrement de l’altération profonde anté-crétacée supérieure est fourni par des saprolites kaolinitiques trouvées sous des dépôts gréseux cénomaniens dans l’avant pays de l’Erzgebirge au Sud de Dresde. L'épaisseur de saprolite est variable et elle peut localement ne pas être inférieur à 100 m (Migon et Lidmar-Bergström, 2001).
Un âge de la fin du Crétacé inférieur a été rapporté pour les gisements résiduels de kaolin en Saxe (Gilg et Frei, 1996), par conséquent la kaolinisation mi-Crétacé peut être considérée comme généralisée à l’échelle de la Bohême en rapport avec les nombreux gisements de kaolins présents sur le massif daté par la méthode Rb-Sr et par le ratio isotopique D-H (Gilg, 2000).
Dans les régions centrales de Bohême, il existe une zone karstifiée au niveau de la partie Nord du bassin Paléozoïque de Prague (appelée également karst de Bohême dans le massif du Barrandien), composée par un complexe de roches calcaires et schisteuses daté du Silurien au Carbonifère. Les dépressions karstiques ont servi de pièges à sédiments qui ont été préservés de l’érosion. La surface pré-cénomanienne était recouverte par des altérations kaolinitiques (Zelenka, 1980).
Des cryptokarsts existent sous la couverture du Crétacé supérieur à l’extrémité Est du bassin Crétacé bohémien (Moravie). Pendant le Crétacé inférieur, la plate-forme moravienne était surélevée et les dépôts antérieurs ont été localement érodés et seulement de rares dépôts aptiens à albiens sont trouvés (Krystek et Samuel, 1978 ; Řehánek, 1984). Cette identification de karst montrent qu’un relief karstique était déjà bien développé au Crétacé inférieur mais montre également l’existence d’un réseau hydrographique dès le Mésozoïque dans le massif bohémien (Bosak, 1985 ; Bosak et al., 1989).
Altérations cénozoïques
Durant le Cénozoïque, la Bohême connaît des phases de sédimentation, d’altération et d’érosion permanente des séries sédimentaires (Bosak, 1985). Un contexte tectonique compressif se met en place au Sénonien sup.-Paleocène jouant largement sur la configuration structurale de la bordure SW bohémienne (Schröder et al., 1997). A l’échelle du domaine bohémien, le Paléogène est caractérisé par un arrêt de la sédimentation attesté par les surfaces d’érosion en sommet de séquence du Crétacé supérieur et également par l’existence d’altérites paléogènes.
L'âge de l’altération dans le front Sudète peut être contraint en utilisant les sédiments sus-jacents d’âge Oligocène à Miocène moyen. Par conséquent ces manteaux d’altérations sont considérés d’âge Paléogène (Kural, 1979 ; Surowce kaolinowe, 1982). D'autre part, l'occurrence de roches kaolinitisées en dessous des sédiments du Crétacé supérieur (Surowce kaolinowe, 1982 ; Störr, 1983) prouve qu’une kaolinisation étendue était présente dès le Crétacé.
A partir des études du karst bohémien dans le Barrandien, la limite crétacée-paléogène est caractérisée par une émersion grâce à la mise en place d’une karstification et d’une altération intense de type tropical (Bosak, 1990).
Dans l’avant pays de l’Erzgebirge (Bohême occidentale), la majorité des gisements de kaolin sont recouverts par des dépôts éocènes et oligocènes, par conséquent leur âge est considéré également du Crétacé au Paléogène inférieur (Migon et Lidmar-Bergström, 2001).
Dans le sud-est bohémien, des kaolins ont été trouvés sous les argiles marines peu profondes d’âge Miocène inférieur (Krystková, 1971). L’altération est susceptible de s’être formée au Paléogène, mais il n’existe pas d’indices stratigraphiques évidents pour contraindre cet âge.
VI.1.5. Bassins limitrophes du massif bohémien
Le massif de Bohême est encadré par trois principaux bassins post-varisque tels que le bassin Nord germanique (BNG) et le bassin polonais à la bordure Nord ainsi que le bassin SW germanique à la bordure occidentale (Fig. 1). Les régions situées au Sud du massif sont dominées par d’importants dépôts cénozoïques constituant le bassin molassique Néogène Nord alpin. La sédimentation en Europe centrale au cours du Secondaire et du Tertiaire est répartie entre ces trois bassins (Malkovsky, 1980).
Les autres bassins en Europe centrale (tels que le bassin Crétacé de Bohême et le bassin sub-hercynien crétacé au Nord du Harz) ne sont que des appendices des bassins précédemment cités ou ne sont que des petits bassins continentaux ayant fonctionnés de manière autonome (tels que les bassins crétacés supérieur de Bohême du Sud ou les bassins tertiaires de l’Eger en Bohême Nord occidentale).
Le développement des bassins de l’Europe centrale post-varisque a surtout été influencé par l’orogenèse alpine et carpathique (Malkovsky, 1971).
Bassin Nord germanique et Bassin polonais
Ces bassins, d’orientation NW-SE, constituent la dépression topographique de l’Europe centrale. Leur développement a été contrôlé par les structures de la croûte profonde : le système de failles de l’Elbe et de la zone de Teisseyre-Tornquist (Fig. 89). Les successions sédimentaires du BNG et du bassin polonais sont comparables.
Le BNG a été initié vers la fin du Carbonifère-Permien par un rifting crustal accompagné par du volcanisme et du magmatisme (Ziegler, 1990 ; Giese, 1995 ; Benek et al., 1996 ; Gossler et al., 1999 ; McCann, 1999 ; Scheck et Bayer, 1999). Cet événement a été suivi du refroidissement et de la subsidence thermique du bassin (Brink et al., 1992) (Fig. 90A) qui a duré jusqu'au Trias supérieur permettant la formation d’un important espace d’accommodation. Le BNG fait parti du bassin Permien (Ziegler, 1990) s'étendant de la Mer du Nord jusqu’au Nord de l’Allemagne. Le BGN se prolonge au Sud du système de failles de l'Elbe et au Nord des montagnes du Harz. Le BNG est asymétrique avec une pente vers le Nord peu prononcée et un rejet de faille prononcé à la marge SW (système de l’Elbe). Le bassin est caractérisé par une succession de sédiments permiens à cénozoïques avec des épaisseurs atteignant environ 10 km (Ziegler, 1990).
Du Trias au Crétacé, le BNG ainsi que le bassin polonais ont évolué en fonction de la subsidence thermique et des phases de subsidences tectoniques (Fig. 90A-B). L'extension Trias sup.-Jurassique a généré une zone de dépôt-centre selon une direction NNE qui a affecté la croûte supérieure (Scheck et Bayer, 1999).
Pendant le Jurassique sup. et le Crétacé inf., le régime extensif de l'Europe du nord-ouest a en outre causé la formation du bassin E-W de Basse-Saxe (Betz et al., 1987 ; Brink et al., 1992 ; Petmecky et al., 1999). Le bassin a été constitué par la réactivation des systèmes de failles permo-carbonifères (Betz et al., 1987) causant la formation de grabens. Ceci a fourni l’espace d’accommodation pour le dépôt de sédiments du Jurassique et du Crétacé inférieur (Ziegler, 1990 ; Baldschuhn et al., 1991) pouvant atteindre environ 5000 m d’épaisseur. La subsidence du bassin de la Basse-Saxe a cessé au cours du milieu du Crétacé (Betz et al., 1987 ; Baldschuhn et al., 1991).
A la fin du Crétacé et au début du Cénozoïque, le champ de contraintes dans le domaine du BNG est passé à un régime compressif en raison du début de l'orogenèse alpine (Ziegler, 1990).
En résumé, trois phases principales de déformations Crétacé-Paléogène du BNG peuvent être identifiées : (1) La première phase au Coniacien-Santonien (Baldschuhn et al., 1991 ; Kockel et al., 1994 ; Ziegler et al., 1995), (2) la deuxième phase vers la fin du Paléocène (Betz et al., 1987 ; Ziegler et al., 1995) et (3) une phase vers la limite Oligocène-Eocène (Betz et al., 1987; Ziegler et al., 1995).
Le bassin polonais est un ensemble de bassins développé sur le socle paléozoïque de l’Europe centrale vers la fin du paléozoïque. Son axe principal de dépôt-centre (dépression polonaise médiane) a été en activité pendant la majeure partie du développement du bassin comme zone maximum d'affaissement avec une sédimentation presque ininterrompue.
La base actuelle du Permien dans la dépression polonaise médiane s'étend en profondeur entre 3000 et 3500 m près de la côte baltique et jusqu'à 8000 m à son extrémité sud-est. Cette structure constitue le plus grand linéament tectonique d’Europe connu sous le nom de linéament de Teisseyre-Tornquist (Arthaud et Matte, 1977a) et correspond à une étroite zone de failles parallèles orientées NW-SE. L’orientation de ces failles a été contrôlée par la géométrie de la marge du craton Est européen ainsi que les hétérogénéités de la croûte. Elle s’étend de la mer Noire jusqu'au Danemark, pour continuer après, de manière diffuse, dans la mer du Nord. Au Sud de la Pologne, en Ukraine et dans le Nord de la Roumanie, la ligne de Tornquist-Teisseyre est recouverte par le front des Carpathes et les sédiments néogènes de l'avant-fossé carpatique. Ce linéament représente une partie de l'ancien contact entre le craton de l’Europe orientale (craton Baltique et la plate-forme de l’Europe orientale, dite aussi plaque Baltica) et le domaine calédo-hercynien d'Europe centrale et son équivalent au sud-est des Carpathes.
Le bassin subi une subsidence tectonique accrus pendant l'Oxfordien et le Kimméridgien (Fig. 90B) et au début du Crétacé supérieur (au Cénomanien selon Stephenson et al., 1993 ; Dadlez, 1995, ou au Turonien selon Swidrowska et Hakenberg, 2000). Ce dernier épisode a été corrélé avec l’intense activité du système de rifts de l’Atlantique Nord et le long de la bordure septentrionale de la Téthys (Dadlez et al., 1995).
La déformation compressive du bassin polonais au Crétacé supérieur et au Tertiaire inférieur a réactivé les failles majeures du socle responsables de la subsidence permo-mesozoïque de la dépression polonaise médiane (Fig. 90B). La compression entre le bouclier scandinave et l'Europe occidentale est active à la fin du Sénonien (vers 80 Ma) et à la fin du Paléocène. Elle n'a d'importance réelle que dans la partie méridionale de la dépression polonaise médiane où cette dernière est associées à un décrochement dextre (Pozaryski et Brochwicz-Lewinski, 1978 ; Ziegler, 1982).
Bassin SW germanique
Le bassin SW germanique est un bassin intracontinental initié dès le Carbonifère par subsidence (Ziegler, 1990) du bloc Sud allemand. Ce bassin correspond au grand domaine sédimentaire bordant le SW du massif de Bohême et l’Est du massif de la Forêt Noire (Fig. 91).
Il est majoritairement composé de terrains triasiques et jurassiques dans sa partie Nord (plate-forme franconienne). La couverture sédimentaire permo-mésozoïque possède une épaisseur maximum de plus de 3000 m (plus de 2000 m dans quelques sous-bassins de molasse permo-carbonifère et jusqu'à 1500 m de sédiments mésozoïques). Sa partie Sud, déformée et s’enfonçant sous le front alpin, est recouverte par une épaisse sédimentation détritique oligocène-miocène (molasse Nord alpine).
Le Trias du bassin correspond à l’accumulation de 1500 m de dépôts détritiques, riches en éléments clastiques grossier en majorité, généré par désagrégation des reliefs puis transportés dans des cônes alluviaux à l'Ouest de la Ligne Franconienne (Klare, 1989). Au Trias ainsi qu’au Jurassique inférieur, le bassin SW germanique était connecté avec le bassin NE germanique. Malkovsky (1980) propose l’hypothèse d’une jonction du massif Rhénan avec le massif de Bohême au cours du Jurassique. Une séparation avec le bassin Nord germanique à la fin du Lias est réaliste compte tenu des nannofossiles à affinités téthysiennes et le caractère anoxique du milieu de dépôt à cette période (Bour et al., 2007).
Au début du Jurassique, le bassin a été envahi par une mer épicontinentale marginale à l'océan Téthysien (Meyer et Schmidt-Kaler, 1989 ; Ziegler, 1990). Pendant cette période, le bassin correspond à la partie la plus profonde d'une rampe carbonatée faiblement inclinée (Pawellek et Aigner, 2003b).
L’épaisseur maximale des sédiments de l’Hettangien au Tithonique atteint 1120 m (Treibs, 1964). Le bassin connaît une sédimentation pélagique argilo-carbonatée jusqu’à la fin du Jurassique puis argilo-détritique jusqu’à la fin Crétacé (Ziegler, 1990).
Une absence de sédimentation au Crétacé inférieur caractérise le bassin. La sédimentation a repris pendant le Cénomanien/Turonien dans un bassin assez étroit dirigé NW-SE. Le domaine marin s’est ensuite accru jusqu’au Campanien (Ziegler 1987, 1990 ; Meyer, 1981, 1989a, b). La régression s’est amorcée par le Nord pour s’achever au début du Danien (Paléocène sup.). Les séries du Crétacé supérieur se composent essentiellement de matériels détritiques et limoneux non-marins et partiellement conglomératiques, ainsi que des sables. Les sédiments du Crétacé sup. ont transgressé sur le Jurassique tronqué, ainsi que sur les séries triasiques et les séries permo-carbonifères et localement sur le soubassement de la zone bordière SW Bohémienne (Meyer, 1989a, b). Pendant le Crétacé supérieur, les sédiments des cônes alluviaux d'environ 500 m d'épaisseur ont été déposés au front de la Ligne Franconienne. Leur fraction de sable et leur fraction clastique grossière sont dérivées du soubassement adjacent (Schröder, 1987 ; Klare et Schröder, 1990). Les épaisseurs complètes du Crétacé supérieur atteignent environ 500 m (Malkovsky, 1980).
Les déformations de la plate-forme européenne à l’Eocène se traduisent par d’importants décrochements responsables du « triangle germano-tchèque » (Bergerat, 1987 ; Fig. 91) où le bassin SW germanique se retrouve isolé entre trois zones de relief (Forêt Noire, Bohême, Alpes). La bordure Sud du bassin constitue une profonde fosse comblée par une importante épaisseur de séries détriques d’âge Oligocène à Miocène appartenant au bassin molassique Nord-alpin.
VI.2. Présentation des échantillons
Les données TFA publiées jusqu'à présent sont dispersées, hétérogènes et concentrées dans quelques domaines structuraux, ce qui empêche une analyse à l'échelle du domaine bohémien. Les sites d’échantillonnage de ce travail couvrent l’ensemble des différentes unités structurales du massif. Ce large échantillonnage permettra de mieux comprendre l’évolution géodynamique et de mettre en évidence d’éventuels gradients de déformation à l’échelle du massif.
Le choix des sites d’échantillonnage a été effectué en fonction des unités structurales (Fig. 80 et Fig. 81) et de la proximité de grands accidents tectoniques (Ligne Franconienne, la faille du Danube, par exemple). Certains sites (dont l’Erzgebirge) ont été choisis afin de réaliser différentes sections E-W et N-S du massif et identifier de probables gradients de d’exhumation.
Dans cette étude, la collecte d’échantillons provenant du socle cristallin paléozoïque et précambrien a été effectuée sur plus d’une soixantaine de sites (campagnes de terrain 1997 et 1998 (Y. Gunnell) et 2007 (I. Bour, Y. Gunnell, J. Barbarand). Les échantillons ont été prélevés à des altitudes comprises entre 220 à 1200 m.
En Bohême, les roches cristallines sont très abondantes et affleurent au niveau de nombreux plutons de granitoïdes et de massifs gneissiques. Diverses lithologies, telles que les granitoïdes (granite, métagranite, granodiorite, syénite, amphibolite), gneiss (paragneiss, orthogneiss, granulite) et roches volcaniques (rhyolite), ont été délibérément collectées afin d’augmenter la probabilité de recueillir des cristaux d’apatite en abondance exploitable.
L’échantillonnage a été réalisé dans les régions centrales (Teplà, Barrandien, complexe plutonique central bohémien) ainsi que sur les bordures internes et externes du massif (Silésie, Sudètes, Erzgebirge/Krusné Hory, Fichtelgebirge, Oberpfälzer Wald, Thuringer Wald, Sumava, Bayerischer Wald, pluton Sud bohémien/Waldviertel). Les détails stratigraphiques et lithologiques sont fournis dans le Tableau 11.
Tab. 11 : Description et coordonnées géographiques des échantillons paléozoïques et précambriens du massif bohémien utilisés pour la datation par traces de fission et (U-Th)/He.
D’après les observations en cathodoluminescence sur l’ensemble des différentes lithologies récoltées en Bohême, les apatites sont préférentiellement concentrées dans les phénocristaux de biotite (granite à biotite ; Fig. 92A) de manière aléatoire ou en bordure de ces derniers dans les zones de surcroissance. Les granites riches en biotites sont les roches où la probabilité de recueillir des apatites en grande quantité est la plus importante. Les grains d’apatite dans ce type de lithologie ont une taille comprise entre 70 µm et 300 µm (Fig. 92B) et possèdent une géométrie de bonne qualité avec une cristallisation complète et peu altérée (Fig. 92A, B, C, F). L’occurrence de cristaux d’apatite s’observe également dans les cristaux de feldspaths et notamment dans les orthoses. Néanmoins les apatites apparaissent avec une taille majoritairement inférieure à 50 µm (Fig. 92D).
La forme prismatique des apatites est peu préservée dans les roches métamorphiques telles que les gneiss et dans les métagranites (Fig. 92E). Dans ces lithologies, les cristaux d’apatite sont disposés en frange autour des phénocristaux. Des zonations chimiques dans certaines apatites sont mises en évidence par la cathodoluminescence. Ces zonations apparaissent par une intensité et une couleur de luminescence différente. L’encadré de la Fig. 92F montre, sur une apatite, l’existence de fissures possédant des propriétés physico-chimiques un peu différentes par rapport au cristal ainsi qu’une zone périphérique.
Cinq types d’organisation des cristaux d’apatite ont été observés dans les différentes lithologies qui ont été utilisées pour cette étude (Fig. 92 et Tab. 12).
Organisation des apatites dans la paragénèse |
Lithologie associée |
phénocristaux |
Fig. |
dispersés dans les phénocristaux |
granite, rhyolite |
biotite (90 %), quartz (5%), plagioclase (5%) |
A |
îlots ou en amas jointifs dans les phénocristaux |
granite, |
biotite (90 %), quartz (5%), plagioclase (5%) |
B |
îlots ou en amas inter granulaires |
granite porphyrique |
- |
C |
dispersés en inter granulaire |
granite |
- |
D |
couronnes et alignements en intergranulaire |
métagranite, gneiss |
- |
E |
Tab. 12 : Type de disposition des cristaux d’apatite déterminé au sein de la paragénèse des roches cristallines bohémiennes. Les valeurs en pourcentage indiquent la proportion relative de cristaux d’apatite présente en inclusion dans les différentes espèces de phénocristaux.
VI.3. Données TFA
VI.3.1. Résultats TFA
62 âges TFA (Tab. 13) ont été déterminés sur l’ensemble des régions du domaine bohémien. Les âges TFA présentent un éventail d’âge très large, compris entre 60±3 Ma (IB25-26) et 324±15 Ma (CZ03). Les mesures TFA de certains échantillons (séries YG et CZ) ont été réalisées par Andy Carter à l’université de Londres (Birkbeck et University College). Les tableaux de mesures détaillés des âges TFA du massif sont présentés en Annexe 3.
La majorité des échantillons de socle satisfait le test statistique du χ² au seuil de 5 % et correspond par conséquent à une population unique (c.f. diagrammes radiaux en Annexe 4). A l’opposé, 14 échantillons ne satisfont pas le test du χ² au seuil de 5 % (YG19, 21, 22 ; CZ01, 04, 18, 19, 20, 23, 24, 31, 32 ; IB08, 25 : Tab. 13). Les représentations radiales (c.f. Annexe 4) de ces échantillons montrent une dispersion statistique plus importante de leur âge inter-grain (entre 13,6 et 33,8 %) et montrent également deux pôles d’âges correspondant à des grains dont l’âge est significativement plus petit ou plus grand que l’âge moyen.
Tab. 13 : Synthèse des résultats des datations TFA réalisées sur les cristaux d’apatite du massif Bohémien. Les encadrés gras représentent les échantillons modélisés. Les initiales ont pour légende suivante : N : nombre de grain ; rd : densité de traces du dosimètre (verre Corning CN5) ; Nd : nombre de traces induites comptées dans le dosimètre, rs : densité de traces spontanées, ri : densité de traces induites ; Ns : nombre de traces spontanées, Ni : nombre de traces induites ; P(c²) : dispersion ou probabilité en % que les âges individuels représentent une seule population ; Dispersion : dispersion des âges intergrain (cf. Annexe 4) ; S-D : écart-type ; Dpar : diamètre des traces mesurés parallèlement à l’axe c de l’apatite ; N(L) nombre de traces confinées mesurées. Les densités de traces sont exprimées sous 105 TF/cm².
Les âges TFA et les longueurs de traces confinées obtenus sur l’ensemble du domaine bohémien montrent une distribution particulière de leur valeur et permettent d’individualiser des groupes d’âge homogène correspondant à des régions particulières (Fig. 93).
Les mesures de longueur des traces confinées ont été réalisées sur 62 échantillons. La longueur moyenne des traces confinées est comprise entre 9,1±0,1 (IB27) et 14,06±0,13 µm (CZ31) avec un écart-type variant entre 0,7 et 3,3 µm. De 2 à 126 traces confinées par échantillon ont pu être mesurées et 51 modélisations ont pu être réalisées pour des échantillons possédant plus de 30 traces confinées.
Les longueurs moyennes de trace en fonction des âges TFA ne montrent pas de tendance clairement identifiable. La prise en compte des données entre deux analystes (série CZ-YG mesurée par A. Carter et série IB mesurée par I. Bour : Tab. 13) permet de discriminer deux groupes de points. La série IB présente des longueurs de traces en grande partie plus courtes que celles mesurées dans la série CZ-YG et sont associées à un effet géographique. Toute la série d’échantillons IB provient des bordures externes du massif bohémien. La mesure croisée de quelques échantillons CZ-YG montre des résultats très voisins et démontre un effet de régionalisation.
Les valeurs du Dpar varient de 0,87 à 1,77 µm (Tab. 13 ; Fig. 94) et montrent une corrélation moyenne avec les âges TFA (coefficient de corrélation de 0,52). Grossièrement, les âges TFA vieux montrent des Dpar élevés. Les apatites contenues dans les lithologies de type granodiorite et syenodiorite possèdent majoritairement des valeurs de Dpar plus grandes (1,4 à 1,8 µm) par rapport aux autres lithologies granitiques et gneissiques.
Les données TFA de cette étude et celles issus de la bibliographie (Wagner et al., 1989 ; Bischoff, 1993 ; Hejl et al., 1997 ; Thomson et Zeh, 2000 ; Glasmacher et al., 2002 ; Suchy et al., 2002 ; Hejl et al., 2003 ; Ventura et Lister, 2003 ; Aramowicz et al., 2006 ; Filip et al., 2007 ; Danisik et al., 2010), mettent en évidence une disposition particulière des valeurs d’âges depuis les régions centrales du massif bohémien et ses chaînons bordiers (Fig. 95).
Les reliefs bordiers du massif montrent des âges TFA systématiquement plus jeunes par rapport aux zones internes. Les âges récents s’observent particulièrement sur les bordures Nord et Ouest. Une zone d’âge très jeune (20-40 Ma) est concentrée au niveau des bordures Nord et Ouest du bassin Crétacé bohémien.
La synthèse des âges TFA de cette étude avec celle de littérature, permet de discriminer quatre classes d’âges délimitées par quatre ruptures de pente de la courbe des suites croissantes des âges TFA (Fig. 96).
Fig. 95 : Carte interpolée des âges du domaine bohémien prenant en compte l’ensemble des données TFA de la littérature (Wagner et al., 1989 ; Bischoff, 1993 ; Hejl et al., 1997 ; Thomson et Zeh, 2000 ; Glasmacher et al., 2002 ; Suchy et al., 2002 ; Hejl et al., 2003 ; Ventura et Lister, 2003 ; Aramowicz et al., 2006 ; Filip et al., 2007 ; Ventura et al., 2009 ; Danisik et al., 2010) ainsi que de cette étude. Carte superposée sur fond MNT avec exagération des altitudes x10, éclairage à N110 et angle zénithal à 45°.
La carte ci-dessus (Fig. 97) prend en compte les quatre classes d’âges établies par le diagramme des suites croissantes des âges TFA (Fig. 96). Les données TFA du bassin Crétacé bohémien documentées dans la littérature ne sont pas représentées dans ces précédentes figures. Les âges TFA de cette région ont été décrits comme ayant subi un réchauffement hydrothermal (circulations de fluides chauds et volcanisme) entre l’Eocène et le Miocène (Filip et al., 2007) et ne sont pas le reflet d’un évènement de mouvements verticaux du socle.
Sur une carte structurale, ces différents groupes d’âges se superposent aux régions et massifs qui composent la province bohémienne et délimitent de manière assez précise les unités tectoniques segmentées par les grandes failles (Fig. 97). Sur la bordure Est du massif de l’Erzgebirge, la faille majeure des Krusné Hory est clairement mise en évidence et apparaît sous forme de deux groupes d’âges significativement différents (Fig. 97). Par ce procédé de classes d’âges, d’autres grandes limites structurales ressortent également telles que le bloc des Sudètes et Silésien situé le long de la faille de l’Elbe, le bloc « Cesky Les » situé le long de la ligne Franconienne ou encore la zone de faille du Danube.
Les mesures de longueur de traces confinées de cette étude ont été intégrées avec celles décrites dans la littérature permettant de réaliser une carte interpolée sur l’ensemble du domaine bohémien (Fig. 98). A l’échelle du massif, les longueurs de traces les plus courtes (<11 µm) s’observent principalement sur la bordure nord-ouest, et surtout sur les bordures SW et Sud. Le centre, l’Est et le nord-est du massif montrent des gammes de longueurs de traces supérieures à 12 µm avec des zones dépassant les 13 µm dans les Sudètes orientales (bordure nord-est), au Nord de Prague (bassin Crétacé bohémien) à l’extrémité sud-est du Fichtelgebirge. Le groupe de longueurs de traces supérieures à 14,5 µm dans le bassin Crétacé bohémien constitue une anomalie qui est en relation avec une récente (20 Ma) remise à 0 des traces (circulation hydrothermale : Filip et al., 2007).
Fig. 98 : Carte interpolée des moyennes de longueurs de traces du domaine bohémien prenant en compte l’ensemble des données TFA de la littérature (référence en Fig. 95) ainsi que celles de cette étude.
Si les longueurs de traces sont discriminées, quatre grandes zones s’observent à l’échelle du massif bohémien et illustrent un contraste régional dans l’histoire thermique (Fig. 98).
(1) Les zones de longueurs de traces inférieures à 11 µm s’observent au niveau des régions de l’Erzgebirge, de la partie Nord de l’Oberpfälzer Wald et notamment dans la zone de linéament du Danube jusqu’au rebord méridional du pluton Sud bohémien. L’Erzgebirge montre un alignement de zones où les longueurs de traces sont inférieures à 11 µm concentrées sur les hauts topographiques du horst et délimite la faille des Krusné Hory.
(2) Les régions centres bohémiennes (Téplà, Barrandien, Moravie), les Sudètes occidentales, ainsi que les régions occidentales du massif bohémien incluant la Thuringer Wald et une partie de l’Oberpfälzer Wald ainsi que les bordures Ouest de l’Erzgebirge, montrent des longueurs comprises entre 11 et 13 µm indiquant un réchauffement important de la roche.
(3) La bordure nord-est du massif (Sudètes orientales) est caractérisée par des longueurs de traces comprises entre 13 et 13,5 µm. Dans cette situation, la roche a subi un réchauffement modéré.
(4) Les longueurs de traces supérieures à 13,5 µm caractérisant dans roches n’ayant pas subi de réchauffement sont principalement concentrées sur le pourtour Ouest et Nord du bassin Crétacé bohémien ainsi qu’à l’extrémité Sud du graben de l’Eger.
VI.3.2. Discussion des données TFA à l’échelle du domaine bohémien
Les valeurs des âges TFA, réparties selon des aires géographiques, délimitent différentes unités structurales majeures (Fig. 97). L’hypothèse de la segmentation du socle en blocs tectoniques (Fig. 81), déjà évoquée par Zeman (1978) et Malkovski (1979), est donc compatible avec la distribution géographique des âges thermochronologiques.
La distribution géographique de quatre classes d’âges, mises en évidence en Figure 96, n’est pas aléatoire et indique une géodynamique récente (<100 Ma) sur l’ensemble du pourtour Nord, Ouest et Sud du domaine, contrairement aux régions internes où les âges TFA sont toujours supérieurs à 200 Ma.
A partir des âges TFA ainsi que des longueurs de traces, le bloc silésien, les blocs des Sudètes, ainsi que les blocs des Krusné Hory, du Cesky Les, le bloc Moldanubien et le linéament tectonique du Danube sont aisément reconnaissables. L’histoire géodynamique sur les chaînons périphériques apparaît plus récente (âges du Mésozoïque au Cénozoïque inférieur) en comparaison avec le cœur du massif (âges TFA du Mésozoïque inférieur au Paléozoïque) et témoigne d’un soulèvement crustal post-varisque localisé principalement sur les bordures externes du massif (Fig. 95 et Fig. 97).
Depuis la fin du Trias, le cœur du massif n’est plus affecté par des mouvements verticaux et aurait conservé une relative stabilité. À partir du début du Mésozoïque, les déformations du soubassement bohémien tendent depuis le Paléozoïque inférieur à s’éloigner des régions centrales et à se limiter aux régions périphériques. Seul les régions en bordure Sud du bassin Crétacé bohémien enregistrent un évènement tectonique au Crétacé supérieur.
Les valeurs régionalisées des âges TFA soulignent un gradient centrifuge. Cette distribution radiale des âges TFA récents semble suivre les grands accidents décrochants majeurs qui entourent le cœur du massif. Ces failles majeures, accompagnées par la formation de hauts topographiques, sont orientées de manière tangentielle par rapport à un cœur de massif qui présente une topographie plus modeste mais possède une croûte sensiblement plus épaisse (38-40 km) par rapport aux parties périphériques (30-32 km) (Fig. 82). Le faible gradient géothermique est associé aux régions centrales possédant une épaisseur de croûte plus importante. Il existe ainsi un lien assez fort entre la structure profonde de la croûte du domaine bohémien, la distribution des contraintes tectoniques et les âges thermochronologiques.
Les longueurs de traces confinées à l’échelle du massif montrent un gradient très net entre la bordure SW et la bordure NE du massif.
Les sites d’études possédant des longueurs de traces caractérisées par des valeurs inférieures à 11 µm (Fig. 98) associées avec des âges TFA, compris entre 228 et 60 Ma, sont concentrés au niveau de la bordure SW, de la bordure Sud du massif et localement sur certaines zones de l’Erzgebirge. Ce fort raccourcissement des longueurs de traces est relié à un temps de résidence prolongé de la roche dans la zone partielle de rétention et serait associées à un réchauffement important et prolongé de la roche au cours de son histoire. Un épisode d’enfouissement significative (>1000 m) aurait affecté ces différentes parties de la Bohême.
Sur la bordure nord-est du massif (Sudètes orientales), les longueurs de traces montrent des valeurs dépassant les 13 µm (Fig. 98) et indiquent que la roche a subi un court temps de résidence dans la zone partielle de rétention des traces. Compte tenu des grandes valeurs de longueur des traces et des âges compris entre 76 et 107 Ma, cela témoigne d’un soulèvement très rapide de cette région durant le Crétacé. Ce brutal soulèvement peut être attribué à l’inversion tectonique du bassin polonais et au linéament Teisseyre-Tornquist situé 100 km plus au Nord. Les Sudètes orientales sont ceinturées par quatre grands accidents, dont la faille intra-sudétique au Nord et la faille de l’Elbe au Sud (Fig. 81). Ces accidents délimitent le bloc structural silésien qui a fonctionné comme un horst au Crétacé.
Des longueurs de traces supérieures à 14 µm (Fig. 98), indiquant que la roche n’a pas connu des températures élevées (>60°C) pendant une période significative (10 Ma) après sa formation. Ce groupe de longueur de trace est concentré sur le pourtour Ouest et Nord du bassin Crétacé bohémien et correspondent à une zone d’âge TFA très jeune (16 à 28 Ma). Ces données provenant de roches volcaniques du Crétacé supérieur à Paléogène ont été datées par la méthode TFA et par la méthode K-Ar (Filip et al., 2007). Des anomalies nettes entre les âges TFA et K-Ar sont observables. Les âges K-Ar (27-31 Ma à la bordure Ouest et 63-69 Ma à la bordure Nord du bassin Crétacé bohémien) mettent en évidence l’âge de l’épanchement du matériel volcanique correspondant aux phases volcaniques syn-rift Oligocène du graben de l’Eger et Crétacé-Paléogène du bassin Crétacé bohémien.
Le très jeune âge TFA par rapport aux âges K-Ar et TFA des régions voisines serait attribuable à un réajustement des âges TFA dû à la circulation de fluides hydrothermaux (T>100 °C ponctuellement uniquement) (Filip et al., 2007) en relation avec la forte activité magmatique de la région. De tels événements peuvent être identifiés dans l'histoire post-Crétacée dans cette partie du massif de Bohème. L'événement thermique à 28-26 Ma serait lié à l'activité volcanique oligocène qui a été suffisamment intense pour remettre à zéro des systèmes TF et (U-Th)/He, cicatrisant ainsi les générations de traces de fission antérieures à l’événement volcanique. Il existe des remises à zéro du chronomètre associées à un événement thermique calé entre 20-16 Ma se rencontrant sur la bordure Ouest du bassin.
Les grandes longueurs de traces correspondent aux traces récentes, postérieures à l’événement volcanique et n’ont pas eu le temps de subir une phase de réchauffement suffisamment prolongée pour réduire leur longueur. Toujours selon Filip et al. (2007), les âges TFA du pourtour Ouest et Nord du bassin Crétacé bohémien impliqueraient deux épisodes de réactivation de la circulation hydrothermale pendant l’Oligocène (28 à 26 Ma) et une deuxième phase au Miocène inférieur (20 à 16 Ma), plus locale à la bordure Ouest, corrélée aux séquences volcaniques régionales.
De tels évènements hydrothermaux et volcaniques ne se sont produits qu’au niveau du bassin Crétacé bohémien ainsi qu’à la moitié NE du graben de l’Eger durant le Cénozoïque.
Les principaux arguments pour discuter de la cause de l’augmentation de la température, responsable des valeurs d’âges et des longueurs de traces, sont les effets d’une couverture sédimentaire, la circulation des fluides hydrothermaux ainsi que l’augmentation du flux géothermique. En fonction de l’histoire géologique, les deux derniers facteurs n’ont pas affecté les régions étudiées. Le flux géothermique sera décrit plus en aval.
VI.4. Analyse par microsonde électronique
Des analyses chimiques ont été réalisées par microsonde électronique sur certains cristaux d’apatite de Bohême. Tout comme pour les apatites de l’Ardenne, ces analyses ont été effectuées pour des échantillons possédant des valeurs de Dpar extrêmes et intermédiaires (Tab. 14).
Les cristaux d’apatite contenus dans les différents granitoïdes de Bohême présentent de très faibles différences chimiques entres eux et sont caractérisés par des teneurs en fluor supérieures à 3,92 % en poids d’oxyde (Fig. 99A) et corrélativement par de très faibles teneurs en chlore inférieures à 0,13 % (Fig. 99B). Les teneurs en fluor (3,9 à 5 % en poids d’oxyde) et en chlore (< à 0,13 % en poids d’oxyde) ne montrent pas de relation avec les Dpar dans cette faible gamme de variations chimique.
Les teneurs en fluor varient faiblement pour un maximum de 1 ppm sur l’ensemble des échantillons analysés à la microsonde. Les granodiorites, néanmoins, montrent une concentration en fluor plus faible que le reste des roches magmatiques analysées. Une tendance entre fluor et âges TFA est observable (Fig. 100A) avec une corrélation négative de R égale à -0,86. Le chlore ne joue aucun rôle sur le contrôle de la valeur de l’âge TFA (Fig. 100B).
Les différentes analyses ne soulignent pas l’existence d’anomalie chimique en éléments majeurs et traces sur les cristaux d’apatite à l’échelle des granitoïdes et gneiss bohémiens. L’ensemble des cristaux possède des compositions proches.
VI.5. Analyse des inclusions avec le microscope électronique à balayage
Les observations et les mesures chimiques ponctuelles au Microscope Electronique à Balayage (MEB) ont montré que les apatites issues des roches cristallines (notamment sur les granites, granodiorites et orthogneiss) du massif de Bohême contiennent majoritairement des inclusions de zircon dont la taille peut atteindre 10 à 15 µm de long.
Les principaux types d’inclusion rencontrée sont synthétisés sur la Figure 101. Les zircons au sein de cristaux d’apatite occupent des positions diverses au centre ou en bordure de cristal et possèdent des formes variées (trapue ou allongée : Fig. 101A-B). Dans de plus rares cas, des inclusions de ferromagnésien (Fig. 101C) ainsi que d’ilménite (oxyde de fer et de titane ; Fig. 101D) sont également observées.
La présence d’inclusions de zircon est élevée dans les lithologies granitiques du domaine bohémien. Compte tenu de la forte concentration en uranium des zircons, la probabilité d’implantation d’hélium dans la structure cristalline de l’apatite est très importante. La caractérisation des inclusions dans les cristaux d’apatites est donc primordiale.
VI.6. Données (U-Th)/He
VI.6.1. Résultats (U-Th)/He
Des analyses par la méthode (U-Th)/He sur apatite ont été effectuées sur les échantillons utilisés pour l’étude TFA. Sur 34 échantillons (Tab. 15 et Tab. 16), 26 ont pu fournir des résultats (U-Th)/He utilisables (âge reproductible et réaliste, écart-type inférieur à 50 Ma) et analytiquement fiables (stabilité des mesures par spectrométrie de masse, absence de concentration significative d’He lors du deuxième palier de chauffage, dégazage complet de l’He contenu dans les cristaux). L’ensemble du protocole opératoire est détaillé en Annexe 1.
Les apatites utilisées pour cette méthode d’analyse possèdent un diamètre supérieur ou égal à 90 µm. Le FT moyen sur l’ensemble des apatites analysées possède une valeur égale à 0,78. En tenant compte de chaque répliquat et pour des échantillons possédant au minimum deux répliquats, les âges (U-Th)/He sur les 34 échantillons couvrent des gammes de valeurs entre 53 et 449 Ma. Pour la suite de ce travail, seules les moyennes d’âges (U-Th)/He issues des échantillons possédant une reproductibilité des âges entre répliquats et dont la dispersion des valeurs est inférieure à 20 % seront prises en compte afin d’obtenir des résultats statistiquement exploitables et réalistes. En appliquant cette sélection, les âges (U-Th)/He moyens sont compris entre 58±7 et 341±16 Ma (Tab. 15 et Tab. 16) et sont majoritairement plus jeunes que les âges TFA obtenus sur la même série d’échantillons.
La taille (ou le poids) des cristaux d’apatite présente une corrélation positive avec l’âge mais s’observe uniquement sur les échantillons possédant une faible dispersion de leur âge. Une corrélation négative avec la concentration [eU] s’observe également pour ces échantillons.
Tab. 15 : Résultats (U-Th-)/He sur les cristaux d'apatite du massif bohémien (série d'échantillons « IB » : campagne de terrain 2007). Ft : facteur de correction de diffusion des alphas d'après Farley et al. (1996) et Hourigan et al. (2005) ; eU : concentration effective. L'uranium et le thorium ne se désintègrent pas à la même vitesse, la concentration [eU=U+0,235Th] tient compte de cette différence (0,235 correspondant au rapport des constantes de décroissance de ces deux éléments) ; S-D déviation standard en (Ma). Analyse personnelle.
Tab. 16 : Résultats (U-Th-)/He sur les cristaux d'apatite du massif bohémien (série d'échantillons « YG-CZ » : campagne de terrain 1997-1998). Même légende que Tab. 15. Analyse personnelle.
Une courbe des suites croissantes réalisée sur les âges (U-Th)/He montre quatre classes d’âges (Fig. 102A) dont les intervalles sont relativement similaires par rapport à celles rencontrées pour les âges TFA (Fig. 96). Cette courbe prend en compte les valeurs de chaque répliquat issu d’échantillons où leurs âges présentent une dispersion inférieure à 20 %. Les âges (U-Th)/He autour de 90-80 Ma sont dominants (Fig. 102B).
Sur une carte structurale, les différents groupes d’âges (U-Th)/He délimitent de manière assez précise les unités tectoniques segmentées par les failles majeures (Fig. 103). La Figure 103 localise l’âge moyen des échantillons issus d’un minimum de deux répliquats. Seuls les échantillons présentant une dispersion de l’âge inférieure à 20 % entre leurs répliquats sont représentés.
De même que pour les âges TFA, les âges (U-Th)/He ne sont pas répartis de manière homogène au sein du massif bohémien. Les données (U-Th)/He illustrent un gradient grossièrement radioconcentrique des valeurs d’âges entre le centre du massif et ses chaînons périphériques. La distribution géographique des âges (U-Th)/He montre des âges plus jeunes (de 58±7 à 196±31) sur les chaînons bordiers du domaine bohémien (Sudètes, Erzgebirge, Oberpfälzer Wald, Šumava, Waldviertel) avec un cœur de massif (Teplà, Barrandien, complexe plutonique central) regroupant des âges anciens compris entre 159±19 et 341±16 Ma.
VI.6.2. Organisation des données (U-Th)/He
De la même façon que les âges TFA, les âges (U-Th)/He montrent une distribution géographique similaire avec des âges récents (<110 Ma) exclusivement sur les bordures du massif bohémien. Les régions centrales du massif (Tépla, Barrandien, complexe plutonique) montrent des âges majoritairement supérieurs à 200 Ma. A partir du diagramme des suites croissantes (Fig. 102A), les quatre groupes d’âges discriminés mettent en avant différentes régions structurales, elles mêmes misent en évidence par les données TFA.
Les âges (U-Th)/He dans le domaine bohémien sont essentiellement plus jeunes que les âges TFA obtenus sur la même série d’échantillons (Fig. 104).
Les âges (U-Th)/He plus jeunes que les âges TFA (YG01, YG06, YG10, YG21 ; CZ03, CZ08, CZ15, CZ18, CZ23, CZ26, CZ32 ; IB10) soulignent la présence d’une couverture sédimentaire modeste qui ne serait pas détectable dans la gamme de résolution thermique des données TFA. Cette interprétation fonctionne avec l’algorithme de simulations d’HeFty qui prend en compte le coefficient de diffusion standard de l’He.
Des études récentes (Shuster et al., 2006 ; Flowers et al., 2007, 2009 ; Gautheron et al., 2009) proposent de nouveaux domaines de sensibilité de l’He et ont une conséquence sur les simulations et les interprétations d’histoires thermiques qui en découlent. D’autres études discutent sur les anomalies d’âges (U-Th)/He par rapport aux âges TFA (par exemple, Green et al., 2006 ; Flowers et al., 2007, 2009 ; Gautheron et al., 2009 ; Kohn et al., 2009). Ces différents points particuliers, au regard des observations sur les échantillons de cette étude, sont discutés en Annexe 5.
VI.7. Modélisation de profils thermiques
Les histoires thermiques en Bohême ont été déterminées à l’aide de HeFty® (Ketcham, 2005) utilisant le modèle de cicatrisation des traces de fission de Ketcham et al. (2007) et la cinétique de diffusion standard de l’apatite de Durango (Farley, 2000). Cet algorithme, permettant d’associer les données (U-Th)/He avec les données TFA dans la simulation thermique, a été préféré par rapport à AFTSolve.
VI.7.1. Contraintes géologiques appliquées
La synthèse des grands épisodes tectono-sédimentaires et d’altérations utilisés en tant que contraintes de modélisation sont discriminés par région et récapitulés dans la Figure 105 et le Tableau 17.
Contraintes |
Ages |
Types de contraintes |
Régions |
1 |
Dévonien-Carbonifère |
Mise en place des intrusions plutoniques (Suchy et al., 2002) |
Domaine bohémien |
2 |
Permien terminal-Trias |
Discordances socle/Permien ; socle/Trias sup. ; socle/Jurassique |
Fig. 105 |
- Plate-forme épivarisque : Paléosurface d’érosion anté-triasique, régime continental dominant (Suk et al., 1984 ; Klein, 1990). |
Domaine bohémien |
||
3 |
Jurassique |
- Développement de mers épicontinentales, |
- Bassins polonais, |
4 |
Crétacé inférieur |
Discordance socle/Crétacé supérieur |
Fig. 105 |
Karstification des carbonates jurassiques |
Plate-forme Franconienne |
||
Niveau de saprolites (Zeman, 1980) |
Bordure SE |
||
Matériaux détritiques du massif Bohémien à la base de la ligne franconienne (Schröder et al., 1997) |
Bordure SW |
||
Saprolites kaolinitiques sous les dépôts gréseux cénomaniens (Migon et Lidmar-Bergström, 2001) |
Avant pays de l’Erzgebirge |
||
Surface pré-cénomanienne recouverte par les altérations kaolinitiques (Zelenka, 1980) |
Barrandien |
||
5 |
Crétacé supérieur |
- Subsidence généralisée au niveau de fossés d’axe NW-SE (Malkovsky, 1987), |
- Bassin Crétacé bohémien, |
6 |
Crétacé supérieur |
Domaine émergé : présence de systèmes deltaïques silicoclastiques (Klein et al., 1979) |
Sudètes |
7 |
Crétacé terminal-Paléogène |
Discordance Crétacé supérieur/Néogène et socle/Néogène |
Fig. 105 |
Gisements de kaolin recouverts par les dépôts éocènes et oligocènes (Migon et Lidmar-Bergström, 2001) |
Avant pays de l’Erzgebirge |
||
Karstification et altération intense de type tropical (Bosak, 1990) |
Barrandien |
||
Kaolins sous les argiles marines miocènes inférieurs (Krystková, 1971) |
Bordure SE |
||
Manteaux d’altération kaolinitique |
Front Sudètes Nord |
||
8 |
Néogène inférieur |
- Subsidence de la marge liée au bassin flexural en bordure du front de la chaîne alpine |
- Bordure Sud, |
9 |
Néogène supérieur-Quaternaire |
- Fort soulèvement des Alpes et du bassin molassique Nord alpin : érosion de plus de 2 km de séries molassiques (Kuhlemann et Kempf, 2002), |
Bordure Sud et bassin molassique Nord alpin |
Tab. 17 : Tableau récapitulatif des contraintes issues des données de terrain du domaine bohémien (discordances, enregistrements tectono-sédimentaires préservés, niveaux d’altérites au méso-cénozoïque). Les contraintes correspondant à des phases d’érosion et de dépôts sont énumérées avec l’argumentaire associé. Légende : cases en grisé : socle en surface => argument bien contraint (discordance, altérite) ; cases sans remplissage : indice d’enfouissement dont l’ampleur n’est pas quantifiable (dépôts reliques).
VI.7.2. Comparaison des résultats de profils thermiques entre différents programmes de simulation
Les deux modèles les plus utilisés présentant un modèle cinétique (Ketcham et al., 1999 ; Ketcham et al., 2007) prenant en compte les variations chimiques sont AFTSolve et HeFty. HeFty (Ketcham, 2005) permet en outre de calculer l’âge (U-Th)/He équivalent à l’histoire thermique obtenue. Ce dernier algorithme possède le même modèle cinétique des traces que AFTSolve, par contre la contrainte He est ajoutée.
Une comparaison des histoires thermiques obtenues avec ces différents modèles (AFTSolve, HeFTy) a été réalisée afin de vérifier la reproductibilité des résultats de simulation et de tester la sensibilité des différentes méthodes de modélisation les unes par rapport aux autres (Fig. 106).
L’exemple en Figure 160 (YG01 : Barrandien, Bohême centrale) indique la similarité des profils thermiques simulés entre deux algorithmes. Avec l’utilisation des seules données TFA, la géométrie des profils ainsi que leur qualité statistique évoluent peu. Sans augmenter le nombre de scénarii simulé, les possibilités de scénarii testés par HeFty sont plus grandes par rapport à AFTSolve en relation avec des contraintes en boîtes plus larges et moins « contraignante » par rapport à des contraintes en barres. L’algorithme possède une liberté de simulation plus importante. L’insertion des données (U-Th)/He affine le modèle mais perd, en contrepartie, en qualité au niveau des tests statistiques GOF et K-S car le nombre de scénarii potentiellement à tester dans cette situation sont beaucoup plus nombreux (ajout d’une contrainte). Les domaines significatifs des différents profils sont similaires entre eux. L’épisode thermique à 90 Ma dans la simulation est accentué d’environ 20°C avec l’emploi d’une contrainte He.
VI.7.3. Sites modélisés
Parmi les 50 modélisations réalisées à l’échelle du massif bohémien, les modèles qui sont développés et illustrés ci-après, représentent les profils thermiques les plus caractéristiques d’une région donnée (Fig. 107) et possèdent les meilleurs tests de qualité statistique tels que décrits au paragraphe III.2. Les échantillons ont fourni des longueurs de traces confinées en assez grand nombre pour permettre des modélisations couvrant l’ensemble du domaine bohémien.
L’ensemble des profils thermiques modélisés possède des tests statistiques K-S et GOF de bonnes qualités avec un indice supérieur à 0,80. L’intervalle de temps des contraintes de modélisation est fixé de manière large afin de tester un plus grand nombre de scénarii d’histoire thermique.
La description des résultats TFA et de modélisations ainsi que leur interprétation sont détaillées selon les différentes unités structurales du massif bohémien.
VI.8. Gradient géothermique actuel
L’évaluation de l’ampleur de l’érosion et la reconstitution de l’épaisseur d’enfouissement à partir des modèles thermiques sont directement dépendantes du gradient géothermique. Afin de garder une constance dans les interprétations, l’hypothèse de départ est la prise en compte du gradient géothermique actuel (Fig. 108) considéré stable sur les complexes plutoniques depuis la pénéplaination varisque du Permien (en dehors des provinces volcaniques cénozoïques du graben de l’Eger et du bassin Crétacé bohémien). Une étude de Francu et al. (2002) sur la maturité de la matière organique corrobore l’hypothèse du maintien d’un gradient géothermique stable sur la bordure sud-est bohémienne depuis le début du Mésozoïque.
Sur une majeure partie du massif de Bohême, le gradient moyen est du même ordre de grandeur que le gradient géothermique moyen de l’Europe (environ 30 °C/km) qui correspond au géotherme d’une croûte stable.
Les parties nord-ouest et extrême Est du massif possèdent un flux plus important atteignant 80 à 100 mW/m² (Fig. 108). Ce flux plus élevé correspond aux provinces volcaniques Néogène du graben de l’Eger, de l’Erzgebirge ainsi qu’au bassin crétacé bohémien. Le bassin molassique Néogène Ouest carpathique et la région Sud de la faille du Danube sont également caractérisés par un flux supérieur ou égal à 70 mW/m².
Mise à part ces anomalies locales, le flux de chaleur sur l’ensemble du massif (Fig. 108) ainsi que les isothermes déterminés entre l’Erzgebirge et le front Carpatique sont assez homogènes et évoluent entre 50 et 60 mW/m² correspondant à un géotherme d’environ 20 à 24 °C/km en considérant une conductivité moyenne de 2,5 W/m/K.
Le profil géothermique bohémien à la Figure 109 peut être subdivisé en trois différentes unités principales, basées sur la structure de la croûte : la zone des Krusné Hory/Erzgebirge, la zone centre bohémienne (incluant le Teplà-Barrandien) et la zone carpathique-pannonienne (Bielik et al., 1994).
La zone de l’Erzgebirge/Krusné Hory est caractérisée par une croûte supérieure relativement épaisse (16-20 km) par rapport à la croûte inférieure plutôt mince (12-14 km). Des valeurs intermédiaires du flux de chaleur (de 70-80 mW/m² et atteignant localement 90 mW/m²) sont mesurées dans cette unité structurale (Fig. 108 et Fig. 109), tandis que le bassin crétacé bohémien montre des valeurs légèrement plus faibles du flux de la chaleur (Fig. 108).
L'unité centre bohémienne montre une croûte plus épaisse (30-39 km), tandis que la croûte supérieure est remarquablement plus mince (9-15 km). Le noyau central de Bohème montre typiquement un flux de chaleur peu important de 40 à 60 mW/m² correspondant à un faible gradient géothermique. Les région internes du massif bohémien et notamment les grands plutons granitiques (complexe plutonique centre bohémien et pluton Sud bohémien) sont caractérisés par une très faible émission de chaleur évoluant entre 40 à 50 mW/m² (Fig. 108). Les isothermes sont très espacés à l’approche des plutons centre et Sud bohémien et matérialisent une anomalie thermique négative qui s’enracine profondément dans la lithosphère (Fig. 109). Cette anomalie négative du flux de chaleur au centre du massif se superpose assez bien avec une plus grande profondeur du Moho caractérisant le noyau du massif (Fig. 82).
La zone carpathique-pannonienne est caractérisée par une épaisseur réduite de la croûte (25-28 km) et une croûte inférieure plus mince en comparaison de l'unité centre bohémienne. La croûte supérieure est de 16 km d'épaisseur dans cette unité. L'unité pannonienne est caractérisée particulièrement par des valeurs extrêmement élevées du flux de chaleur (de 85-95 mW/m² ; Fig. 108 et Fig. 109).
VI.9. Résultats, modèles thermiques et interprétation à l’échelle des massifs annexes
Les profils thermiques sont complexes et soulignent des parcours thermiques polyphasés plus ou moins diachrones selon les régions. Ces différences peuvent être associées (1) à des événements tectoniques régionaux (massif bohémien segmenté en différentes unités structurales), (2) à des variations d’épaisseur de dépôts sédimentaires dépendant de la paléotopographie, et à un enfouissement sous des dépôts marins du Jurassique supérieur et Crétacé supérieur actuellement disparus car érodés.
Les simulations des températures, à partir des données TFA et (U-Th)/He du domaine bohémien, attestent la présence non négligeable de dépôts d’âge Jurassique, Crétacé supérieur, et Néogène inégalement répartis sur le soubassement primaire dont l’épaisseur a atteint et dépassé les 1000 m. La majeure partie de ces dépôts est, dans l’état actuel, totalement érodée ou n’existe que sous l’aspect de reliques isolées.
VI.9.1. Massif des Sudètes : bordure Nord bohémienne
VI.9.1.1. Résultats
Les mesures TFA ont été réalisé aux deux extrémités du massif : massif de Jesenik à l’Est et massif de Luziké Hory-Krkonose à l’Ouest. Les âges TFA obtenus (Fig. 110B) couvrent une gamme de valeurs comprises entre 76±3 et 107±6 Ma. Les données (U-Th)/He fournissent des âges compris entre 63±13 et 96±9 Ma. 3 échantillons (IB05 à IB07) sont obtenus sur des granites varisques et métagranites anté-varisques situés en bordure Nord du bassin Crétacé bohémien et 5 autres (YG06 à YG11) sont obtenus sur des gneiss et des granitoïdes essentiellement précambriens ayant subi un fort métamorphisme dévonien (Verner et al., 2006). Les altitudes des affleurements sont situées entre 360 (extrémité Ouest des Sudètes) et 950 m (extrémité Est). Les âges varient légèrement dans la partie Est des Sudètes vers des valeurs plus faibles en direction du sud-ouest tandis que la partie Ouest indique des âges uniformes.
Dans le Jesenik, les longueurs de traces moyennes sont élevées par rapport aux autres parties du massif et varient très faiblement de 13,26±0,14 (YG06) à 13,98±0,19 µm (YG11) avec un écart-type de 1,3 à 2,3 µm. Ces grandes longueurs de traces sont en accord avec un temps de résidence plutôt court dans la zone partielle de rétention des traces. Les moyennes de Dpar varient de 0,87 à 1,04 µm.
Dans la partie Ouest des Sudètes, es longueurs de traces moyennes couvrent une gamme de valeurs plus courtes comprises entre 10,53±0,22 (IB07) et 12,40±0,15 µm (IB05) avec un écart-type de 0,9 à 2,2 µm respectivement. La géométrie des histogrammes de cette région est caractérisée par un plus large écart-type et également par distribution bimodale des longueurs de traces au niveau du Luziké Hory (IB07) situé à l’aplomb de la faille de l’Elbe. Les moyennes de Dpar obtenues pour ces échantillons sont de 1,01 à 1,27.
VI.9.1.2. Modélisations
La Figure 111 présente les résultats de modélisations thermiques TFA et (U-Th)/He effectuées sur les bordures NE (YG06) et SW (YG10) du bloc Silésien (Fig. 81). Les profils thermiques de la bordure septentrionale du domaine bohémien indiquent le maintien de températures supérieures à 100°C avant 120 Ma. Les deux modèles montrent une phase unique et extrêmement rapide de refroidissement sur une durée de 10 et 20 Ma (Fig. 111).
La bordure NE du bloc silésien montre une phase de diminution de la température dès l’Albien (~110 Ma). Cette phase est plus tardive sur le rebord SW et débute dès le Campanien (~80 Ma). Ces deux échantillons sont séparés par une faille traversant le bloc silésien selon un axe NW-SE.
Les résultats de modélisations de la partie Ouest des Sudètes comprennent le Krkonose et l’extrémité Ouest de Luzické Hory (Fig. 80). Le même grand événement de refroidissement autour de 80 Ma (YG10, IB05, IB07) est mis en évidence sur les différentes parties des Sudètes occidentales (Fig. 112). Ce premier épisode de refroidissement est effectif entre le Campanien et le début du Paléogène (~80-60 Ma) avec un optimum centré à la limite crétacé-paléocène (65 Ma) et correspond à l’évènement de refroidissement mis en évidence sur la partie SW du bloc silésien (Fig. 81).
Les Sudètes occidentales montrent des profils thermiques possédant une anomalie thermique dépassant les 60°C calée à l’Eocène supérieur (Bartonien : ~40 Ma) et qui est suivi de ce fait par un deuxième épisode de refroidissement démarrant à partir du Miocène moyen. Par rapport au Sudètes orientales, l’ajout d’une contrainte de modélisation au Cénozoïque a été nécessaire pour que les tests de qualité GOF et K-S soient corrects. L’ajout de cette contrainte peut également être justifié par la présence de reliques de dépôts néogènes mais également l’existence de cônes volcaniques.
VI.9.1.3. Histoire thermique
La présence de grands volumes de dépôts clastiques bruts préservés au Sud, à l’Est et au Nord du Krkonose témoigne des érosions successives du granite de Krkonose dès le Permien inférieur (Śliwiński, 1980).
La température au dessus de 100°C subie par la roche au Jurassique et Crétacé inférieur peut être reliée à un enfouissement sous une importante couverture sédimentaire et peut être mise en relation avec le régime extensif de l'Europe du nord-ouest dès le Trias (Betz et al., 1987 ; Brink et al., 1992 ; Petmecky et al., 1999) qui a réactivé des systèmes de failles permo-carbonifères (Betz et al., 1987) causant la formation de grabens (dont le bassin Nord germanique et polonais) fournissant un vaste espace d’accommodation. Les bassins du Nord de l’Europe centrale présentaient une subsidence maximale au Trias et au Jurassique supérieur (Kossow et al., 2002 ; Dadlez et al., 1995).
La couverture épi-varisque dans les bordures septentrionales du massif de Bohême peut être généralement divisée en trois ordres :
- Carbonifère supérieur - Trias,
- Jurassique moyen et supérieur (présent aujourd’hui en tant que rares reliques,
- Crétacé supérieur (Cénomanien - Santonien).
Une exhumation majeure s’opère dès le Crétacé supérieur notamment dans les parties orientales de la région (massif de Jesenik). Dans le massif de Jesenik, le début de ce soulèvement montre un écart de 30 Ma de part et d’autre d’une ligne de faille majeure découpant le bloc silésien en deux unités. La partie Nord du bloc silésien a fait l’objet d’un puissant rejet structural vers l’Albien alors que la partie Sud de ce bloc a été exhumée plus tardivement dès le Santonien-Campanien. Une autre hypothèse à prendre en considération serait un soulèvement plus important de la partie du Sud s’opérant à la même époque. Les Sudètes présentent un modèle tectonique constitué de horst et de graben.
En tenant compte d’un géotherme régional de 20°C/km (Bucha et Blizkovsky, 1994 :Fig. 108), la diminution de la température observée sur les modèles thermiques (Fig. 111) correspondrait à une exhumation et l’érosion d’environ 4000 m de matériels sur une durée de 10 Ma au minimum au cours du Crétacé. Compte tenu de l’épaisseur du remplissage sédimentaire et de la subsidence épisodique du bassin polonais durant le Mésozoïque (Fig. 83B), il est peu probable que 4000 m de dépôts constitués uniquement de séries crétacées inférieures et supérieures aient existé. En revanche, l’ablation de 4000 m de matériels de l’ensemble de la sédimentation mésozoïque sur les Sudètes serait compatible. L’érosion a pu affecter de manière conjointe les séries mésozoïques mais également le socle cristallin.
La stratigraphie locale du bassin Crétacé bohémien, met en évidence des systèmes deltaïques silicoclastiques provenant de « l'île occidentale Sudète » qui était un domaine émergé au Crétacé supérieur selon Klein et al. (1979) et Valecka (1979).
Tandis que l'étape d’une exhumation régionale au Crétacé inférieur est difficile à évaluer en raison l’érosion presque complète des séries jurassiques, les mouvements verticaux post-Santonien peuvent être définis en prenant les sédiments transgressifs cénomaniens comme horizon de référence (Don, 1996). En comparant la position la plus profonde de cet horizon dans le bassin bohémien (Malkovský, 1987) et dans le bassin polonais (forage de Wykroty N 14 ; Bossowski, 1991) avec les affleurements de l'Orlickie et du Bystrzyckie (Malkovský, 1987) (Fig. 113), une différence verticale totale d’environ 1600 m a été estimé.
Dans la partie occidentale des Sudètes, l’histoire thermique est globalement similaire à la partie orientale (Fig. 112). Néanmoins une phase de réchauffement au Néogène est identifiée (surtout IB07). Le gradient géothermique de cette région est d’environ 24°C/km (Bucha et Blizkovsky, 1994 :Fig. 108). La première phase de refroidissement Santonien-Campanien à Paléogène débute à partir d’une température de 100°C et correspondrait à une exhumation importante de même ordre de grandeur (environ 3500 m) que le bloc silésien dans les Sudètes orientales.
La période d'exhumation accélérée à la fin du Crétacé supérieur, documentée dans les Sudètes, présente des équivalents dans d'autres massifs varisques de l’Europe centrale (par exemple, Thomson et al., 1997 ; Coyle et al, 1997 ; Hejl et al., 1997 ; Senglaub et al., 2005). Elle a été identifiée dans les montagnes du Harz (âges TFA : 83-73 Ma ; Thomson et al., 1997). Les données pétrographiques et géochimiques de sédiments, bien calibrées sur leur âge stratigraphique (86-82 Ma ; von Eynatten et al., 2008), contraignent avec précision l’enregistrement de l’érosion des montagnes du Harz. Ces différents auteurs proposent que le Crétacé supérieur ait été une période majeure de changement environnemental, avec la formation d’un relief topographique et un décapage rapide. Ventura et al. (2009) mettent également en avant cette hypothèse dans le bloc lusatien à l’extrémité Ouest des Sudètes occidentales avec des âges TFA compris entre 72 et 94 Ma.
La majorité des auteurs (Liboriussen et al., 1987 ; Norling et Bergström, 1987 ; Mogensen et Jensen, 1994 ; Thomas et Deeks, 1994 ; Dadlez et al., 1995 ; Deeks et Thomas, 1995 ; Mogensen, 1995 ; Hippolyte et al., 1996 ; Erlström et al., 1997) sont d'accord pour considérer que, pendant la phase laramienne (Paléocène moyen) et probablement aussi pendant la phase “sub-hercynienne” (Turonien supérieur-Campanien), s’est produite une inversion et une déformation transpressive dextre le long du linéament Tornquist-Teisseyre (dépression médiane polonaise).
Le contexte compressif de l’Europe au Crétacé sup. et au Tertiaire inf. a facilité l’inversion du linéament Tornquist-Teisseyre de l'ordre de 1 à 3 km (Mazur et al., 2005 ; Fig. 114). De part et d’autre du linéament inversée, une aire de dépôt est créée et permet l’accumulation de dépôts crétacés (Fig. 114B et Fig. 115). L'inversion tectonique a eu comme conséquence un bombement plutôt symétrique de l'axe du bassin (Ziegler, 1990 ; Krzywiec, 2002 ; Mazur et al., 2005).
Cette inversion est vérifiée par l’épaisseur et la profondeur des successions crétacées du système de bassin de l’Europe de l’Ouest et centrale (Fig. 115 ; Mazur et al., 2005). L’inversion est concentrée au niveau des grands accidents varisques et anté-variques. Le champ de contrainte compressif affectant l’Europe centrale, génère des séries d’antiformes et de synformes où s’accumulent dans ces derniers les séries du Crétacé supérieur pouvant atteindre plus de 2000 m d’épaisseur (Fig. 115). Ces structures sont parallèles entre elles et également parallèles aux grands accidents varisques tels que le linéament Teisseyre-Torquist et le système de faille de l’Elbe indiquant que ces accidents jouent un rôle principal dans l’inversion. L’évolution du massif des Sudètes est par conséquent affectée par le re-jeu d’accidents tectoniques hérités.
L’inversion et le soulèvement régional du bassin polonais entre ~85 et ~65 Ma est bien établi (Resak et al., 2008), et l'érosion rapide d’une hypothétique couverture sédimentaire liée à la discontinuité varisque est plus réaliste qu’une rapide érosion d’une surface granitique beaucoup plus résistante. La prise en compte de la subsidence et de la modélisation thermique 1D dans le nord-ouest du bassin polonais a permis de contraindre quantitativement les subsidences mésozoïques et l’importance de l'inversion et de l'érosion au Crétacé supérieur-Paléocène. Le bassin polonais a subi un soulèvement qui a très probablement atteint 2400 m dans la Pologne centrale (Resak et al., 2008). Plus de 2000 m d’épaisseur de dépôts de Crétacé supérieur se sont accumulés dans la partie adjacente non inversée du bassin, contre moins de 500 m dans les parties inversées (Resak et al., 2008). Cette épaisseur du Crétacé supérieur implique le début précoce des processus d'inversion, probablement à la fin du Turonien ou Coniacien.
La phase d’augmentation de température à l’Eocène supérieur soulignée par les profils thermiques seulement sur la partie Ouest des Sudètes (IB07) peut être expliquée soit par environ 800 à 1700 m de dépôts paléogènes-néogènes, soit par une anomalie régionale du gradient géothermique. Des reliques de dépôts, datés de la fin Paléogène à Néogène et également des structures volcaniques du même âge, s’observent encore sur les massifs septentrionaux (Fig. 116).
Deux hypothèses peuvent être soulevées pour interpréter l’augmentation de la température du socle à la fin de l’Eocène :
(1) L’influence du flux géothermique n’est pas à écarter au Paléogène car de nombreuses protusions volcaniques existent dans cette région (Fig. 116). En effet, à l’Eocène supérieur et au Miocène inférieur le volcanisme était répandu, en particulier dans le graben de l’Eger (Adamovič et Coubal, 1999 ; Ulrych et al., 1999), et dans l’extrémité Ouest des Sudètes occidentales (Badura et al., 2005) qui se situe dans l’alignement de l’axe volcanique de l’Eger.
(2) Les Sudètes occidentales forment un bloc structural limité par des failles majeures qui ont fonctionné au cours de l’Oligocène. Il est probable que cette partie des Sudètes était en zone basse au cours de cette période car elle se situe dans le prolongement du graben paléogène de l’Eger. Ventura et Lister (2003) proposent, à partir de leur modèle, un enfoncement du bloc Sudètes Ouest à l’Oligocène. Des pastilles de sédiments d’âge Néogène de faciès équivalent au graben de l’Eger (détritique d’avant fosse) sont encore observables dans les Sudètes occidentales à une altitude d’environ 300 m (Fig. 116) contre une altitude moyenne de 160 m dans le graben.
La récente phase de refroidissement rapide a commencé il y a environ 20 Ma (Fig. 112) et peut être interprété comme le résultat de l'augmentation de l'activité tectonique des Sudètes comme en témoigne la présence de formations pliocènes clastiques grossières sur le rebord Nord des Sudètes. Le relief final des Sudètes, formé par l’activité tectonique miocène supérieur/pliocène (Dyjor, 1995), serait associé au plissement et à la poussée tectonique dans le bassin d’avant-fosse carpathique menant à la réactivation de vieilles structures. Cette phase tectonique correspond à un soulèvement modeste inférieur à 1000 m car elle n’est pas clairement détectée par les données TFA.
Une étude TFA sur les Sudètes a été réalisée par Aramowicz et al. (2006) sur le rebord Est des Sudètes occidentales (massif de Góry Sowie : Fig. 79). Les résultats de cette étude sont assez différents avec les données de ces auteurs. Les âges TFA vont de 43 à 57 Ma et ne présentent pas de variations régionales constituant une population d’âges assez uniforme. Les mesures de longueurs des traces confinées donnent des valeurs entre 8,8 et 9,6 μm. Environ 70 % des données montrent une distribution bimodale des longueurs de traces confinées. Il est démontré une importante dénudation estimée de 4000 à 8000 m au cours du Crétacé supérieur jusqu’au début du Tertiaire. Une seconde phase de refroidissement rapide débutant vers 7-5 Ma a également été décrite. Ces auteurs proposent une dénudation pouvant atteindre une tranche de 8 km d’épaisseur ce qui est très peu probable compte tenu du remplissage mésozoïque du bassin polonais qui ne dépasse pas 6500 m d’épaisseur au pied des Sudètes (Daldez, 2001). Une telle épaisseur de matériels érodés serait équivalente à ce qui est produit par une chaîne de collision, si qui n’est pas réaliste par rapport au contexte géologique de la Bohême au méso-cénozoïque. L’erreur viendrait de la détermination des longueurs.
Inversement, la dernière étude menée sur les Sudètes est réalisée sur l’Est du Krkonose par Danisik et al. (2010) et propose des histoires thermiques, très similaires à cette étude, caractérisées par une importante et rapide exhumation autour de 80 Ma. Des datations par la méthode TF sur apatite (82 à 90 Ma) et par la méthode (U-Th)/He sur zircon (98 à 296 Ma) et sur apatite (79 à 87 ma) ont été effectuées. Leurs âges (U-Th)/He sur apatite sont quasi-équivalente aux âges TFA, tout comme ceux de cette étude. Les longueurs de traces sont comprises entre 13,2 à 13,4 µm et montre une même tendance souligné dans les Sudètes orientales avec des longueurs de traces voisins.
VI.9.2. Erzgebirge/Krusné Hory : bordure nord-ouest bohémienne
VI.9.2.1. Résultats
La variation des âges TFA dans le massif de l’Erzgebirge (Fig. 117) est la plus large des régions du domaine bohémien. Les âges TFA évoluent entre 73±5 et 225±14 Ma (15 échantillons : YG18-23, CZ31-32, IB08-18). Les lithologies des échantillons de cette région sont des orthogneiss, granodiorites et divers granites essentiellement précambriens et varisques. Deux groupes d’âges TFA sont clairement observables dans cette région et sont séparés par un faisceau de failles majeures (faille des Krusné Hory : Fig. 117). Les âges anciens (225±14 à 191±6 Ma) sont situés sur le mur de faille faisant face au domaine centre bohémien. Le plateau de l’Erzgebirge, sur le versant externe du massif, montrent des âges nettement plus jeunes compris entre 73±5 et 140±7 Ma.
Les longueurs de traces moyennes, mesurées sur 12 échantillons, varient assez significativement de 10,37±0,36 (IB13) à 14,06±0,13 µm (CZ31) avec un écart-type de 1,2 à 3,3 µm. Les moyennes de Dpar varient de 0,96 à 1,15 µm.
Au nord-est de l’Erzgebirge, il existe une distribution bimodale des longueurs de traces (YG18 et YG22 : Fig. 117) visible sur les histogrammes de distribution de longueurs de traces mais également sur un diagramme longueurs-angles des traces. Cette bimodalité souligne une histoire thermique caractérisée par deux évènements. Les diagrammes de longueurs de traces en fonction de l’angle TFA par rapport à l’axe c (Fig. 118) confirment deux évènements thermiques distincts.
VI.9.2.2. Modélisations
Les modélisations effectuées sur le bloc de Erzgebirge/Krusné Hory montrent des grands événements thermiques communs. Néanmoins, l’importance de ces événements en terme de températures est variable entres les différentes localités de ce bloc structural (Fig. 81).
La modélisation est cohérente avec une première grande phase de refroidissement depuis le Permien jusqu’au Trias inférieur suivi par une phase de réchauffement s’amorçant dès la fin du Trias avec un optimum atteignant les 80-100°C autour de la limite jurassique-crétacé. Une seconde phase de refroidissement s’observe à partir du Crétacé inférieur.
Au NE de cette région, les échantillons YG18 et YG22 possédant une distribution bimodale de leur longueur de traces confinées (Fig. 117) indiquent une phase d’augmentation modérée de la température à la limite jurassique-crétacée atteignant le seuil des 80°C (Fig. 119).
Sur quelques kilomètres de distance, YG19 possède une différence d’âge TFA significative (100 Ma) par rapport à YG22 (Fig. 119). Cet échantillon est séparé d’YG22 par la grande faille normale des Krusné Hory qui traverse le bloc du même nom sur son axe SW-NE. Mise à part la différence d’âge, ces deux échantillons montrent une distribution de longueur de traces différente (unimodale pour YG19 et bimodale pour YG22 : Fig. 119). La phase d’augmentation de la température au Jurassique supérieur n’est pas de la même importance entre les deux échantillons. Le pic de température jurassique-crétacé d’YG19 est plus important et dépasse l’isotherme 80°C. La différence de température ΔT (Fig. 119) à cette période atteint plus de 20°C.
Les modélisations ne montrent pas de phase d’augmentation de température significative dans le seuil de résolution des données TFA au Crétacé supérieur dans la partie NE de l’Erzgebirge (YG18, YG19, YG22 : Figs. 152-153).
Les échantillons de la partie SW de l’Erzgebirge, au niveau du rebord W de la faille des Krusné Hory (IB12-14 : Fig. 120), montrent également une phase de refroidissement au Crétacé inférieur. Une phase d’augmentation de température du socle au Crétacé supérieur apparaît plus distinctement en limite de résolution pour ces échantillons. Par contre, CZ32 situé au rebord SE de la faille, ne détecte pas de phase thermique à cette période.
Une nouvelle contrainte de modélisation au Néogène inférieur a été ajoutée (IB14, IB12, CZ32 : Fig. 120) afin de garder une qualité équivalente des tests statistiques par rapport aux précédents échantillons. IB12 montre une plus large tendance au réchauffement cénozoïque sans contraindre le modèle. Au NW du site d’IB12, des reliques de dépôts d’âge Eocène sont observées.
Le remplissage du graben de l’Eger dès le Miocène inférieur peut être utilisé comme contrainte d’âge Cénozoïque (Tab. 17) de part sa proximité immédiate. Les profils thermiques indiquent de ce fait une deuxième phase de réchauffement à l’Oligocène (~34 Ma). Cette tendance s’observe également à l’extrémité SW (CZ32) de la faille des Krusné Hory.
VI.9.2.3. Histoire thermique
Les modélisations d'histoire thermique à partir des données TFA de cette région (Fig. 119 et Fig. 120) indiquent, dès le début du Jurassique, une phase d’augmentation de la température du socle cristallin liée à un enfouissement de ce dernier par des séries sédimentaires jusqu’au début du Crétacé inférieur. Dans l’Erzgebirge, l’ampleur de cet enfouissement est moins importante mais variable selon les différentes parties de cette région.
Les sites du rebord NW de la faille des Krusné Hory et notamment à l’extrémité Sud de l’Erzgebirge indiquent un enfouissement important au Jurassique moyen et attestent que cette partie de l’Erzgebirge constituait une aire de dépôt active dès le Jurassique.
L’augmentation de la température du socle au Jurassique supérieur n’est pas de la même ampleur de part et d’autre de la faille des Krusné Hory. Certains sites du rebord SE montrent une bimodalité des longueurs de traces correspondant à deux épisodes thermiques distincts (Fig. 117 ; Fig. 118 : YG18, YG22). En partant d’un géotherme moyen de 30°C/km, l’augmentation de température du socle au niveau du rebord SE de la faille durant le Jurassique est plus modérée et indique une épaisseur d’enfouissement ne dépassant pas les 1500 m contrairement au rebord NW où l’enfouissement atteint les 2500 m. Une différence d’enfouissement d’environ 1000 m existe entre le rebord NW et SE de la faille des Krusné Hory notamment sur son extrémité septentrionale. La faille des Krusné Hory aurait donc fonctionnée en faille inverse avant de jouer en faille normale au Cénozoïque. Cette augmentation de température, ne franchissant pas l’isotherme 80°C sur le rebord SE de la faille, a permis de conserver les traces antérieures à cet évènement thermique. L’histoire thermique anté-jurassique peut être reconstituée avec une meilleure résolution (Fig. 119 : YG18 et YG22).
Des affleurements de roches sédimentaires jurassiques sont préservés seulement le long de la faille de Lausitz au-delà de l’extrémité NE de l’Erzgebirge (Kossmat, 1925 ; Elias, 1981) et constitue une preuve géologique de l’existence d’une sédimentation au Jurassique.
Une phase de refroidissement du socle débute dès le début du Crétacé inférieur. Au niveau du bassin Crétacé bohémien, les dépôts sédimentaires silicoclastiques d’âge Cénomanien-Santonien liés à la tectonique d'inversion sont originaires du bloc des Sudètes (Leeder et al., 1982 ; Stackebrandt et Franzke, 1989). La phase d’érosion au Crétacé inférieur de l'Erzgebirge, montrée par les simulations d’histoire thermique, serait responsable d’une décharge du matériel érodé vers l'Est.
Juste avant le Cénomanien, la dénudation subaérienne est détectée par l'occurrence de kaolinisation au Sud de Dresde et d'horizons profondément altérés dans l’avant-pays de l’Erzgebirge (Migon et Lidmar-Bergström, 2001). Il est réaliste de penser que le bloc des Krusné Hory ait subi une inversion plus précoce que le bloc des sudètes situé plus au Nord. Le système de failles de l’Elbe sépare distinctement ces deux domaines structuraux.
Les données (U-Th)/He de l’extrémité Nord de l’Erzgebirge (58±7 à 75±10 Ma : IB10, YG22) attestent l’existence d’un enfouissement modéré du socle sous des séries sédimentaires inférieures à 1000 m d’épaisseur. Ces données sont interprétées comme étant la présence d’une couverture sédimentaire au Crétacé terminal et au Paléocène. Il est probable que les dépôts du bassin Crétacé de la vallée de l’Elbe et du bassin Crétacé bohémien situés à proximité aient débordé sur le soubassement de cette partie du bloc des Krusné Hory. Cette hypothèse peut être appuyée l’évènement transpréssif au Crétacé supérieur de la faille de Lausitz associée à l’érosion de l’extrémité Ouest des Sudètes.
Les profils thermiques mettent en évidence, sur le plateau de l’Erzgebirge ainsi qu’à l’extrémité SW du graben de l’Eger, un réchauffement Eocène à Miocène inférieur approchant les 60°C et pouvant être associé à un enfouissement sous des dépôts cénozoïques (Fig. 120). Néanmoins, l’enregistrement de ce réchauffement est compatible avec l’hypothèse d’une hausse du gradient géothermique dès l’Eocène dans cette région. Dans le massif de l’Erzgebirge, le gradient géothermique actuel est l’un des plus importants du domaine bohémien et atteint en moyenne 35°C/km (Fig. 108). Le gradient géothermique actuel s’est mis en place dès l’Eocène lors de l’installation de la province volcanique et la formation du graben de l’Eger. La mise en place du graben et de ses épisodes volcaniques Paléogène-Néogène sont responsables d’une anomalie thermique régionale générant un important gradient géothermique encore observable actuellement (~32 à 36°C/km). Combinés avec la hausse du gradient géothermique, des dépôts néogènes ont existé comme le démontre la présence de reliques sédimentaires du même âge. En fonction de ce gradient, environ 500 à 1000 m de dépôts cénozoïques se seraient accumulés sur le socle, bien que l’importance du rôle du volcanisme et de la couverture néogène sur l’histoire thermique soit difficilement discernable.
A l’extrémité SW de l’Erzgebirge, Ventura et Lister et al. (2003) ont réalisé des analyses TFA sur des roches provenant d’un forage de ~1300 m afin d’étudier l’âge relatif et absolu du refroidissement post-varisque et les processus d’érosion dans l'Erzgebirge. Ces auteurs mettent en évidence des âges TFA compris entre 124±8 (à 143 m de profondeur) et 90±13 Ma (à 1205 m de profondeur) avec des longueurs moyennes de traces confinées comprises entre 10,52±0,34 et 11,37±0,35 µm et des écart-types de 1,77 à 2,63 µm. Les résultats des échantillons en proximité de la surface de ces auteurs sont en accord avec ceux de cette étude.
Tout comme cette étude, Ventura et Lister et al. (2003) propose un soulèvement au Crétacé inférieur. Ces auteurs illustrent également une montée progressive de la température jusqu’au Miocène associé à l’ouverture du graben de l’Eger. Selon les données TFA de Ventura et Lister et al. (2003) et en prenant en compte l’hypothèse d'un gradient géothermique variable entre le paléogradient Cénozoïque de ~17°C/km et le gradient actuel de ~27°C/km mesuré dans le site KTB (Burkhardt et al., 1989), la dénudation fin Jurassique - fin Crétacée a été estimée entre ~1,5 et ~5,9 km pour Erzgebirge de l'Ouest (Ventura et Lister et al., 2003). Cette estimation varie du simple au double selon ces auteurs.
Parallèlement, Schröder (1987), à l’aide d’argument géomorphologique, a proposé 1,5 km de dénudation au début du Crétacé pour la marge Ouest du massif de Bohême, alors que Dudek et al. (1991), à partir de la reconstitution de la profondeur de mise en place des intrusions plutoniques, a déterminé la quantité de dénudation post-Varisque entre 2,5 km dans l’Erzgebirge.
L’estimation de l’épaisseur de l’érosion entre les différents auteurs est hétérogène et dépend fortement du gradient géothermique utilisé en considérant que ce dernier a été affecté par l’ouverture du graben de l’Eger. Dans cette situation mais également à l’échelle du massif bohémien, il est nécessaire être estimées les épaisseur d’érosion en considérant une gamme de gradient géothermique. En considérant un gradient géothermique moyen d’une croûte stable entre 30 et 20°C/km, les données de notre étude montrent des épaisseurs d’érosion comprises entre 1300-2000 et 2000-3000 m au cours du Crétacé inférieur.
Ces estimations des épaisseurs d’érosion se rapprochent de celles décrites par Schröder (1987) et Dekorp (1994). La colonne sédimentaire résultante atteindrait une épaisseur de 1,5 à 3 km en considérant le raccourcissement des régions le long de la faille de l'Elbe d'environ 30 à 80 km depuis le Santonien (Dekorp, 1994). Cette estimation peut être réduite en tenant compte d'un certain nombre de facteurs qui pourraient avoir influencé la superficie de la région de dépôt (plus large région de dépôt en incluant l'Ouest du Bloc Sudètes ; Voigt, 1995).
L’hypothèse de l’existence de séries jurassiques est en accord avec Franzke et Rauche (1991) qui décrivent, au début du Mésozoïque, que la croûte de l’Europe centrale a été soumise à un puissant champ de contraintes de direction NE-SW où d’épaisses séries sédimentaires triasiques et jurassiques se sont déposées sur le substratum paléozoïque notamment au niveau des bassins nord-est germanique et SW germanique.
La présence extrêmement localisée des séries triasiques et jurassiques (Fig. 84) peut laisser supposer qu’une érosion intense a eu lieu pour la période anté-Crétacé sup. L’érosion est d'ampleur variable le long de la bordure Nord et NW du massif de Bohême. Cette dernière a commencé dès le Crétacé inférieur. L’érosion crétacée (de l'ordre de 1 à 4 km) de la moitié septentrionale du massif bohémien peut être rattachée à l’accroissement de l'activité tectonique, à la suite des déformations liées avec les événements d’extensions majeures de la Mer du Nord et de l'Atlantique Nord (Schröder, 1987). La réactivation des contraintes transpressives de la Zone de l'Elbe et de l’érosion dans l'Erzgebirge a été probablement raccordée avec la fragmentation de la Pangée pendant le premier épisode Mésozoïque (Trias à Jurassique-Crétacé inférieur ; Ziegler 1990). L'exhumation finale commençant au Cénozoïque supérieur peut être rattachée au développement du graben de l'Eger en réponse au régime compressif relié aux phases orogéniques alpines.
L’évolution géomorphologique régionale s’est trouvée brusquement rompue lors de la phase de la collision alpine à l’Eocène moyen (Klein, 1990). Des encoches d’érosion ont été sculptées sur le flanc du massif. Les talus générés atteignent 150 à 250 m dans l’Erzgebirge. La sculpture de banquettes marginales et des talus est la conséquence et le signe d’un accroissement considérable et brutal du taux d’érosion (updoming selon Klein, 1990) en liaison avec le contrecoup alpin et la formation du graben de l’Eger.
VI.9.3. Complexe plutonique central / Barrandien : massif centre bohémien
VI.9.3.1. Résultats
Les régions centrales de la Bohême sont caractérisées par des âges TFA beaucoup plus anciens par rapport aux régions périphériques (Fig. 121). Sur le complexe plutonique centre bohémien, les âges TFA sont compris entre 219±7 et 324±15 Ma (10 échantillons : YG01 et YG24 ; CZ01 à CZ08). Les lithologies analysées pour cette région sont des granodiorites d’âge Carbonifère à Dévonien (Varisque sup.). YG24 a été récolté à la bordure Ouest du Barrandien (Téplà), tandis que YG01 et CZ01-08 proviennent du pluton centre bohémien.
Les longueurs moyennes de traces varient assez significativement de 12,30±0,11 (CZ08) à 13,49±0,10 µm (CZ04) avec un écart-type étroit de 1,0 à 1,6 µm. Les moyennes de Dpar varient de 1,19 à 1,77 µm.
VI.9.3.2. Modélisations
L’histoire thermique du complexe plutonique central de Bohême (Fig. 80) est homogène et stable depuis l’épisode de refroidissement qui s’est amorcé dès le début du Permien jusqu’au Trias inférieur (Fig. 122).
Toutefois les profils thermiques des échantillons en bordure du bassin Crétacé bohémien (CZ01, YG01, CZ03) montrent une augmentation de température approchant les 60°C dont l’optimum est centré du Coniacien au Santonien (~90-83 Ma). Cette incursion thermique est plus précoce et devient de moins en moins détectable en s’éloignant du bassin Crétacé. Elle n’apparaît qu’avec l’intégration des données (U-Th)/He dans les simulations (YG01, CZ03). Les échantillons situés dans la partie centrale du complexe ne montrent pas d’évènement thermique depuis le Trias inférieur.
Plus au Sud (CZ08) avec les seules données traces de fission, les profils thermiques détectent un réchauffement modéré approchant les 60°C pour la période paléogène-néogène inférieur mais apparaît en limite de résolution de la méthode TFA. Le léger réchauffement détecté est éventuellement attribuable à l’enfouissement des roches de ce domaine sous une série silico-clastique mio-pliocène mentionnée sur les cartes géologiques (Geological Map of the Czech Republic).
VI.9.3.3. Histoire thermique
Complexe plutonique central
Le complexe plutonique centre bohémien situé entre 20 et 40 km à l’Est du Barrandien, souligne un refroidissement rapide du socle (Fig. 122) associé à un soulèvement au Carbonifère et pourrait avoir été lié à la collision du bloc de Téplà-Barrandien avec l’unité Saxothuringienne au sud-ouest (Franke et al., 1995).
Le complexe plutonique montre une histoire thermique post-varisque stable et n’a plus connu d’importants dépôts sédimentaires au méso-cénozoïque. Dans les environs de Prague, il existe une surface pré-cénomanienne recouverte par des altérations kaolinitiques (Zelenka, 1980). Bosak (1985) décrivait le développement d’un relief karstique au Crétacé inférieur. Ces différents témoins d’altération attestent une importante période d’absence de dépôt sédimentaire avant le Crétacé supérieur.
L’extrémité Nord du complexe plutonique, en bordure immédiate du bassin Crétacé bohémien, montrent des profils thermiques possédant un réchauffement pouvant être relié à un dépôt sédimentaire du Crétacé supérieur. L’épaisseur de ce dépôt est décroissante en direction du Sud et montre de cette manière une discordance angulaire sur le socle paléozoïque. L’utilisation des données (U-Th)/He a été nécessaire pour déceler la présence de dépôts au Crétacé supérieur.
En fonction d’un gradient géothermique régional d’environ 24°C/km (Bucha et Blizkovsky, 1994 :Fig. 108), une dénudation atteignant environ 800 à 1500 m sur l’extrémité Nord du complexe plutonique situé à 10 km de la discordance angulaire du bassin Crétacé, peut-être envisageable. L’érosion significative des séries crétacées au niveau du complexe plutonique s’observe uniquement sur sa partie Nord d’après les données TFA et (U-Th)/He. Cette partie est cernée par des failles soulignant un bloc structural (Fig. 81) qui aurait constitué une aire tectoniquement active et subsidente au cours du Crétacé supérieur permettant l’accumulation et l’érosion des séries de cette même période de temps.
L’extension maximale du bassin Crétacé bohémien débordait sur une dizaine de kilomètres plus au Sud par rapport à ses limites actuelles. Les dépressions karstiques en calcaire du Dévonien inférieur (Pragien) dans le Barrandien ont piégé des sables et argiles marines crétacés (Chlupac, 1993). Zelenka (1981) décrit une augmentation de l'épaisseur de dépôts crétacés d’Ouest en Est d'environ 100 m à 1000 m en direction du pluton centre bohémien et conforte le scénario d’une couverture crétacée détectée par les simulations thermiques. Il n’est pas exclu que cette couverture sédimentaire de faible épaisseur (hors résolution des méthodes thermochronologiques) ait existé sur l’ensemble de la région.
L’histoire thermique de l’extrémité Sud du complexe plutonique a enregistré une phase d’augmentation de température de l’Eocène au Miocène. Une anomalie thermique peut être exclue par une absence totale de tout épisode volcanique dans cette localité au cours du méso-cénozoïque. Des reliques de dépôts cénozoïques, atteignant environ 120 m, sont représentées par des sédiments silicoclastiques fluviaux-lacustres miocènes et pliocènes. Ces dépôts détritiques existent de manière très isolés au Sud du complexe plutonique et l’épaisseur originelle de ces dépôts n’est pas connue.
Il est probable que ce réchauffement isolé soit un artefact de la simulation. Glasmacher et al. (2002) placent également une contrainte cénozoïque à 60°C sur leurs simulations qu'ils assimilent à un artefact de la modélisation et n'est pas discuté davantage. Suchy et al. (1996) placent aussi une contrainte à la fin de l'Eocène qu'ils associent plutôt à une phase de soulèvement ou de diminution du gradient géothermique.
Mise à part l'influence thermique locale générée par les dépôts du Crétacé supérieur sur un bloc structural annexe en bordure Nord des régions centrales, ces mêmes régions sont les seules parties du massif bohémien qui ne montrent pas d'évènement thermique majeur post-varisque, expliquant ainsi l'âge TFA majoritairement supérieur à 200 Ma.
Massif du Barrandien
Deux études trace de fission ont été effectuées sur les apatites des roches sédimentaires et volcaniques du Protérozoïque supérieur au Carbonifère supérieur dans le massif du Barrandien (Glasmacher et al., 2002 ; Suchy et al., 2002). Le Barrandien est un massif situé contre la bordure Ouest du complexe plutonique centre bohémien. Les âges TFA que ces auteurs ont déterminé varient entre 196±14 et 324±13 Ma. La gamme des longueurs moyennes de traces confinées est de 11,68±1,76 à 13,30±1,41 µm avec des écart-types variant entre 0,82 et 2,78 µm (Glasmacher et al., 2002 ; Suchy et al., 2002). Les gammes d’âges TFA et les longueurs de traces du Barrandien déterminées par ces auteurs sont similaire avec celles obtenues par cette étude sur le complexe plutonique centre bohémien.
Le modèle de Suchy et al. (2002) met en évidence un lent et un progressif refroidissement de la roche jusqu’au Paléogène sans épisode de réchauffement au Permien contrairement à Glasmacher et al. (2002). Les données de maturité de la matière organique de Suchy et al. (1996) suggèrent un enfouissement à la fin du Dévonien d’environ 3000 m des roches méso-dévoniennes et constitue le dernier grand enfouissement enregistré. L'enfouissement maximal des roches dévoniennes et l'augmentation de température se sont produits vers 350 Ma. Le dépôt des sédiments carbonifères et permiens (jusqu'à 1200 m d'épaisseur) n'a pas enfoui les roches paléozoïques assez profondément pour augmenter leur maturité thermique (Glasmacher et al., 2002). Les données TFA de Glasmacher et al. (2002) attribuent le refroidissement carbonifère à l'exhumation des parties du soubassement du Barrandien. L’absence des séries triasiques, jurassiques et crétacées inférieures peut laisser supposer qu’une érosion intense a eu lieu pour la période anté-crétacée supérieur.
Le massif du Barrandien souligne une relative stabilité de son soubassement depuis le Permien inférieur (Suchy et al., 1996 ; Glasmacher et al., 2002). Leurs résultats de TFA indiquent que les sédiments du Paléozoïque inférieur tout au long du Mésozoïque ont subi des températures relativement basses. Ce modèle reflète probablement l’absence de dépôt significatif et/ou l'érosion modérée de la partie centrale du massif de Bohème durant le Mésozoïque (Malkovsky, 1979). La même histoire thermique est enregistrée sur la région Téplà, à l’Ouest du Barrandien (cette étude). En considérant une température de 50 à 70°C et un gradient moyen de paléotempérature de ~30°C/km pendant les temps mésozoïques, les sédiments du Paléozoïque inférieur ont été enfouis à des profondeurs de 1000 à 1500 m selon Suchy et al., 1996. Ces mêmes auteurs indiquent une période d'accélération du refroidissement de température des séries paléozoïques il y a 20 à 40 Ma. Ce modèle peut être expliqué par une diminution du gradient géothermique, ou le refroidissement dû au soulèvement régional.
Suchy et al. (2002) émettent l’hypothèse qu’après l’exhumation carbonifère-permien, le socle du Barrandien est resté à la limite de l’isotherme 60°C jusqu’au Néogène pourtant les discordances socle/Néogène dans la région ne s’accordent pas cette hypothèse. Les modèles de ces deux études de la littérature soulignent une courte exhumation dès le début du Néogène, néanmoins Glasmacher et al. (2002) assimilent l’épisode thermique au Néogène à un artéfact de la modélisation.
Localement sur les bordures Nord du Barrandien et du complexe plutonique centre bohémien, les séries carbonifères ainsi que le socle cristallin sont recouverts par des sédiments lacustres et marins peu profonds de plate-forme d’âge Crétacé supérieur. Le Crétacé supérieur est de même faciès que celui du bassin Crétacé bohémien (Turonien détritique épicontinentale) et existe sous forme de lentilles sédimentaires. La sédimentation crétacée et tertiaire (moins de 150 et 100 m, actuellement) n'a pas affecté significativement l’histoire thermique crétacée sur le Barrandien.
En absence de données (U-Th)/He sur le Barrandien, les modèles de Glasmacher et al. (2002) et Suchy et al. (2002) ne détectent pas d’épisode de réchauffement au Crétacé supérieur.
Les histoires thermiques du Barrandien et du complexe plutonique sont voisines entre ces deux régions et soulignent le caractère stable du soubassement centre bohémien depuis la fin du cycle varisque. Néanmoins les données (U-Th)/He disponibles à l’Est du Barrandien, soulignent un enfouissement de la bordure Nord du complexe plutonique sous des séries crétacées. L’histoire Cénozoïque des régions centres bohémiennes peut être associée à une phase de soulèvement Miocène (Suchy et al., 1996) attribuable à la compression néoalpine. Cette phase de soulèvement décrite par Suchy et al., 1996 n’est pas identifiable sur le complexe plutonique. Le soulèvement et l’érosion associée sont trop faibles pour être détectés par les méthodes thermochronologiques.