VII- Synthèse et conclusion générale
Les grandes phases géodynamiques observées sur les massifs ardennais et bohémien s’inscrivent dans l’évolution tectonique à l’échelle de la plaque européenne. Ces évènements correspondent aux phases d’exhumation majeures et de subsidence/sédimentation contrôlées par la tectonique compressive alpine mais également par la géodynamique globale (ouverture téthysienne et atlantique, rifting de la mer du Nord).
VII.1. Relation des bassins sédimentaires avec les phases tectoniques des massifs.
La lithosphère sur l’ensemble de l’Europe est caractérisée par des variations mécaniques (et donc de résistance) latérales importantes. Ces variations mécaniques conditionnent la formation des zones de fracturation (majoritairement générées durant le cycle varisque et réactivées au méso-cénozoïque), d’espaces d’accommodation permettant l’accumulation de sédiments et des mouvements verticaux permettant l’érosion puis la mise en surface du socle cristallin. Les dépôt-centres les plus importants (Fig. 142) en termes d’épaisseur sont localisés parallèlement aux grands accidents varisques (linéament Teisseyre-Tornquist, faille de l’Elbe).
Fig. 142 (page précédente) : Carte des profondeurs du socle cristallin sous les séries sédimentaires paléozoïques à cénozoïques d’après les compilations d’EuCRUST-07 (Tesauro et al., 2008). Les logs représentent les épaisseurs des séquences sédimentaires méso-cénozoïques des bassins d’Europe centrale et occidentale synthétisées d’après les données de la littérature (Treibs, 1964 ; Marlière, 1977 ; Malkovsky, 1980 ; Ziegler, 1990 ; Geological Map of the Czech Republic, 1993 ; Malzer et al., 1993 ; Bayerisches Geologisches Landesamt, 1996a, b ; Guillocheau et al., 2000 ; Kossow et al., 2002 ; Daldez, 2001).
La faille de l'Elbe, comme le linéament Teisseyre-Tornquist en Europe centrale, représente des grandes frontières géologiques où s’observent des changements importants de l'épaisseur et de la composition de la croûte. Le Moho sous le bassin Nord-germanique se trouve entre 35-34 et 28-25 km du Nord au Sud de la faille de l’Elbe. Dans la partie du sud-est de la mer du Nord, des changements semblables de la profondeur du Moho suggèrent que la faille de l’Elbe se propage jusqu’au Sud de la mer du Nord (par exemple Scheck et al., 2002). La distribution des aires de sédimentation et d’exhumation (Fig. 142) montre un lien avec l’épaisseur de la lithosphère (Fig. 82).
Ces grands linéaments jouent un rôle prédominant dans l’histoire sédimentaire des bassins (subsidence, inversion) et participent à la propagation des contraintes tectoniques dans les zones intraplaques (exemple de la faille de l’Elbe transmettant les contraintes tectoniques de la mer du Nord par réactivation jusqu’au domaine bohémien et qui est responsable de la formation du bassin Crétacé bohémien).
Les grands dépôts-centres présentant des épaisseurs de sédiments supérieures à 6000 m suivent une orientation parallèle aux accidents varisques et montrent l’influence dominante de ces derniers sur l’histoire sédimentaire des bassins Nord et centre-européens. Les plus grands volumes de sédiments sont concentrés dans les bassins nord-germanique et polonais dont les séries triasiques et jurassiques assurent la plus grande proportion du remplissage sédimentaire.
La tectonique crétacée dans la partie NW de l'Europe a été dominée par une tectonique extensive (Vandycke, 2002) en relation avec la séparation entre la plaque NW européenne et le Groenland pendant le Crétacé supérieur (Quinif et al., 1997 ; Vandycke, 2002). La plate-forme NW européenne constitue une zone de relais transpressif dextre (Fig. 143) entre le domaine de collision alpin et l'ouverture de l’Océan atlantique central (accidents de la mer du Nord, cisaillement Nord Artois, faille de l’Elbe par exemple). Le fonctionnement de cette zone de relais a conditionné la réactivation des accidents varisques en Ardenne et en Bohême. Les inversions tectoniques et les aires de sédimentations associées sont soulignées par les données TFA et font partie intégrante de la géodynamique globale.
VII.2. Phases géodynamiques, soulignées par les TFA, visibles sur l’Ardenne et la Bohême
VII.2.1. Ardenne
VII.2.1.1. Enfouissement Carbonifère terminal
Au Carbonifère terminal, les Synclinoria de Namur et de Dinant constituaient un important bassin d’avant-pays de la chaîne varisque fortement subsident comblé par une puissante série de flyschs houillers (Fig. 144). De grandes quantités de sédiments détritiques du Westphalien d'origine méridionale (Ardenne, Bassin de Paris) vont s'accumuler avec des intercalations de charbon. La stratigraphie détaillée des bassins houillers est l'objet d'un important nombre de publications dont les principales références peuvent être consultées dans Paproth et al.(1983b).
Les résultats TFA de la littérature (par exemple, sur la cristallinité de l'illite : Larangé, 2002 ; traces de fission des zircons : Brix, 2002 ; TFA sur le Brabant : Vercoutere et Van den Haute, 1993) rapportent qu’environ 3000 m de sédiments ont recouvert la bordure Nord de l’Ardenne ainsi que le Brabant à la fin du Paléozoïque. Les données TFA de cette étude corroborent cette importante phase enfouissement correspondant à une remise à 0 du thermochronomètre.
VII.2.1.2. Erosion post-varisque
Sur le massif ardennais ainsi que la partie orientale du massif rhénan, les données TFA (cette étude ; Glasmacher et al., 1998 ; Karg et al., 2005 ; Fig. 145F-G-H) montrent une exhumation du soubassement paléozoïque à partir du Trias avec un maximum au Crétacé inférieur. L’épisode d’exhumation correspond à l’intervalle de temps des phases tectoniques éo et néo-cimmériennes s’étendant de la fin du Trias jusqu’à la fin du Jurassique.
Le développement de sol et de karstification des calcaires jurassiques, dès le début du Crétacé inférieur (Corroy, 1925 ; Magniez et al., 1980 ; Guillocheau et al., 2000 ; Quesnel, 2003 ; Thiry et al., 2006 ; Vincent et al., 2007 ; Theveniaut et al., 2007), est causé par une exposition subaérienne et correspond à l'amalgamation de deux discontinuités (limites jurassiques/crétacés et berriasiens inférieur/supérieurs) connues sous le nom de discontinuité cimmérienne (Guillocheau et al., 2000). Cette discontinuité est l'expression du soulèvement des marges du bassin de Paris pendant rifting du Golfe de Gascogne, l'ouverture océanique de la Mer du Nord et l’accrétion océanique ligurienne (Guillocheau et al., 2000).
VII.2.1.3. Enfouissement campanien-maastrichtien
Les données TFA de la bordure Nord ardennaise (cette étude ; Fig. 145F) indiquent un enfouissement sédimentaire centré au Campanien-Maastrichtien soulignant l’existence d’une incursion marine qui aurait déposé une épaisseur significative de sédiments sur cette partie de l’Ardenne (Fig. 146). Environ 1000 m de dépôt de Crétacé supérieur peuvent être estimés avec un gradient géothermique actuel de 40°C/km dans le domaine ardennais, et environ 1300 m si l’on considère l’hypothèse d’un gradient d’une croûte stable (soit 30°C/km) au cours du Mésozoïque.
Des reliques sédimentaires attestent l’existence d’une transgression au Crétacé supérieur au Sud de la faille du Midi, bien que la sédimentation à cette période s’observe majoritairement jusqu’au rebord Nord de cette faille. En effet, la couverture altérée d'âge Campanien inférieur, constituée d’argile à silex résultant probablement de la dissolution d'une calcarénite, se retrouve sur les actuels sommets des Hautes-Fagnes (Bless et Felder, 1989) à une altitude moyenne de 500 m. Des transgressions marines plus modestes (indétectables par la méthode TFA) sur les parties plus internes du domaine ardennais sont envisageables. Cette invasion marine a lieu en période haut niveau eustatique (Haq et al., 1988) et lors d’une phase de subsidence de la partie Nord de l’Ardenne (Demoulin, 1995) permettant le dépôt de séries sédimentaires d’épaisseur significative.
Corrélativement, le bassin de Mons (bordure NW-ardennaise) et les grands bassins d’Europe, dont le bassin de Paris (à l’Ouest de l’Ardenne) et le bassin Ouest néerlandais (au Nord de l’Ardenne), connaissent une importante phase de subsidence (Guillocheau et al., 2000 ; Vandycke, 2002). Le Crétacé supérieur, pour ces bassins, est caractérisé par une sédimentation crayeuse tronquée par une surface d’érosion.
L'épaisseur maximale préservée du Crétacé supérieur sur la bordure Nord ardennaise atteint environ 300 m (Legrand, 1968 ; Marlière, 1977) tandis que, dans les dépôts-centres du bassin de Paris, cette épaisseur atteint environ 700 m sous les séries cénozoïques (Megnien, 1980 ; Guillocheau et al., 2000 ; Tab. 19 ; Fig. 147 en entête). Dans le bassin Ouest néerlandais, des études de profils sismiques permettent d’identifier les niveaux du Crétacé supérieur dont l’épaisseur, variable selon les multiples zones de dépôts-centres contrôlées par les accidents tectoniques, est comprise entre 500 et 1000 m (Ziegler, 1990 ; Vinken, 1991 ; Lokhorst, 1998 ; Tab. 19).
Le sommet de séquence du Crétacé est caractérisé par une surface d’érosion qui se retrouve dans les différentes régions du massif et des bassins sédimentaires voisins (Fig. 147). La présence également de silex constitue une preuve d’une dissolution de la craie indiquant, de ce fait, une épaisseur originelle plus importante en sommet de séquence du Crétacé supérieur.
La synthèse de différents points de forage du bassin de Paris selon un axe SW-NE depuis la Beauce jusqu’à la bordure ardennaise (Fig. 147) met en évidence un épaississement des séries du Crétacé supérieur en direction de l’Est. Cette information est d’autant plus réaliste car elle s’observe sous les séries cénozoïques préservant le sommet du Crétacé de l’érosion Néogène. Les séries du Turoniens à Sénoniens constituent la part dominante de l’épaisseur du Crétacé supérieur dans ce bassin. Sur ses bordures orientales, la géométrie des séries crétacées montre qu’elles ne possèdent pas une terminaison en biseau. Les séries sénoniennes de fin de séquence crétacée sont présentes sous les dépôts cénozoïques tandis que plus à l’Est seul les dépôts turoniens puis cénomaniens sont observés à l’affleurement. Une troncature des séries du Crétacé supérieur de la partie Est du bassin de Paris est visible à partir de la coupe structurale (Fig. 60) et notamment à partir des profils de forage (Fig. 147). Il est donc réaliste d’émettre l’hypothèse d’une continuité sédimentaire entre le bassin de Paris et le bassin Ouest néerlandais avec un maximum au Campanien-Maastrichtien comme l’atteste les reliquats de dépôts crétacés sur le domaine ardennais mais également les simulations thermiques (Fig. 70).
En effet, les séries campaniennes et masstrichtiennes, présentes au Nord de l’Ardenne, s’observent également dans le bassin Ouest néerlandais dont l’épaisseur atteint les 650 m, dont 300 m de Maastrichtien surmonté d’une surface d’érosion (Herngreen et Wong, 2007). Une lacune sédimentaire au Maastrichtien et sur une partie du Campanien est observée dans le bassin de Paris. Le hiatus d’érosion à la fin du Crétacé supérieur concerne notamment le Maastrichtien et le Campanien supérieur. Au regard des données TFA (cette étude) et de paléotempérature dans le bassin de Paris (Demars et Pagel, 1994 ; Ménétrier et al., 2005 ; Vincent et al., 2007 ; Barbarand et al., soumis) et Ouest néerlandais (Nelskamp et al., 2007) ainsi que les niveaux crétacés préservés dans ces différents bassin et sur l’Ardenne, l’importante épaisseur de Crétacé supérieur érodé concerne notamment les deux derniers étages de cette période.
Fig. 147 (page suivante) : Variation de l’épaisseur des séries méso-cénozoïques du bassin de Paris depuis un axe SW-NE (données de forage BRGM : InfoTerre®) et comparaison avec les successions stratigraphiques du bassin Ouest néerlandais (Ziegler, 1990). Les isopaques du Crétacé supérieur, préservé sous les séries cénozoïques (Guillocheau et al., 2000), sont représentées sur la carte de localisation des forages en entête. L’altitude actuelle a été prise en compte.
VII.2.1.4. Erosion cénozoïque
Les données TFA de la bordure Nord ardennaise (cette étude ; Fig. 145F) et de la partie orientale (Glasmacher et al., 1998 ; Fig. 145H) enregistrent une rapide exhumation à la fin du Paléogène qui correspond à la mise en place du régime compressif alpin. Les données de maturité de la matière organique sur les niveaux carbonifères du bassin Ouest néerlandais soulignent un important soulèvement au Paléogène (Nelskamp et al, 2007 ; Fig. 145A). La couverture crétacée est intensément érodée et le soubassement ardennais est mis à l’affleurement durant cette période. L’érosion cénozoïque de la couverture crayeuse qui a existé sur une partie du domaine ardennais s’est effectuée majoritairement par phénomène de dissolution et peut expliquer l’absence de sédiment corrélatif dans les régions avoisinantes.
La présence d’un système de terrasse fluviatile résultant de l’enfoncement du réseau hydrographique de la Meuse souligne la néotectonique du front varisque associée un fort soulèvement de l’Ardenne au Miocène (Van Vliet-Lanoë et al., 2006).
La tectonique d'inversion pendant le Crétacé-Tertiaire était en activité dans une zone de relais entre le développement de l’ouverture Atlantique et la fermeture du domaine téthysien (Fig. 143). Les phases collisionnelles alpines ont engendré le transfert de la déformation jusqu’aux parties plus septentrionales de la plaque européenne.
VII.2.2. Bohême
VII.2.2.1. Exhumation fini varisque
Divers arguments attestent la mise à l’érosion du soubassement bohémien à la fin du cycle varisque au permo-trias. Les données traces de fission sur zircon, issues des séries d’études sur les sites de forage KTB (Hejl et al., 1997), reflètent une forte exhumation permienne et/ou triasique qui a été déduite de l’enregistrement sédimentaire. Les données TFA de Glasmacher et al. (2002) décrit une phase d’exhumation des parties du soubassement du Barrandien dès la fin du Carbonifère. La présence de reliquat de sédiments détritiques d’âge triasique, le long de la marge occidentale du massif de Bohème, correspondent à d’anciens systèmes deltaïques alluviaux d’environnement marin peu profond et fluvio-lacustres (Schroder, 1987 ; Schroder et al., 1997) et sont les témoins du démantèlement d’anciens reliefs de la bordure Sud et SW de la Bohême à cette période.
VII.2.2.2. Transgression jurassique
Les dépôts jurassiques (et/ou triasiques) s’observent en périphérie du domaine bohémien, notamment dans le bassin SW germanique ainsi que dans le bassin polonais et également sous forme de reliquats isolés, actuellement jusqu’à des altitudes d’environ 500 m, dans les Sudètes. Les données TFA sur les bordures du massif soulignent l’existence d’une importante couverture sédimentaire anté-crétacée sur les chaînons bordiers (Fig. 148). Aucune discordance socle-jurassique n’est observable dans les régions internes du massif. Les données TFA ne montrent également pas l’existence d’un enfouissement de ces régions au Jurassique.
Les séries jurassiques sont en relation avec la phase de transgression affectant la marge européenne causée par l’ouverture de la Téthys. La présence de blocs basculés témoigne le contexte d’une tectonique distensive de la marge européenne méridionale.
Les données TFA (Thomson et al., 1997 ; Thomson et Zeh, 2000 ; Thomson 2001) suggèrent une surcharge d'environ 5 km de matériels qui auraient enfoui les montagnes du Harz. Cette hypothèse est vérifiée avec les épaisseurs des séries sédimentaires du bassin de Basse-Saxe, où environ 5000 m de séries antérieures au Crétacé supérieur se sont accumulées (Ziegler, 1990 : Fig. 142). Le bassin de Basse-Saxe, avec le bassin NE-germanique, font partis des bassins nord-européens possédant la plus importante accumulation de sédiments post-varisques.
VII.2.2.3. Inversion à la fin du Crétacé inférieur
Une inversion tectonique est enregistrée par les données TFA (cette étude) à la fin du Crétacé inférieur au niveau des bordures Nord, Sud et Ouest de la Bohême. Les paléoaltérations daté à la même période (Schröder, 1968 ; Zelenka, 1980 ; Meyer, 1981 ; Malkovski, 1987 ; Migon et Lidmar-Bergström, 2001) atteste la mise en surface du socle pour ce dernier soit affecté par les altérations météoriques.
Des gisements d’altérites (avant-pays de l’Erzgebirge et de nombreux remplissages karstiques (bassin SW germanique, Barrandien, Moravie) indiquent que le massif bohémien constituait un vaste domaine émergé durant la période du Crétacé inférieur (Fig. 149A). Cet épisode de soulèvement est contemporain du début de la fermeture de l’océan alpin (remontée vers le Nord du bloc apulien et de la formation d’un front de chevauchement au sud de la marge européenne ainsi qu’au niveau des actuelles Carpathes : Fig. 149B). A la même période, le rejeu du rift de la mer du Nord est à l’origine de la formation du bassin crétacé bohémien par le relais du système de failles de l’Elbe. Les directions horizontales des contraintes alpines s’opèrent selon un axe SW-NE (Fig. 149). Durant cette période dans le domaine bohémien, seule une grande partie des Sudètes se trouve enfouie sous 3000 à 4000 m de matériels d’après les données TFA. Dans ces régions, l’histoire thermique n’illustre pas d’épisode de mise à l’affleurement au Crétacé inférieur (Fig. 111 et Fig. 112).
VII.2.2.4. Transgression au Crétacé supérieur
Au Crétacé supérieur, la province bohémienne est marquée par une subsidence généralisée au niveau de fossés d’axe NW-SE qui sont comblés par des sédiments marins et continentaux (Malkovsky, 1987). Au regard des résultats TFA des cette étude (Fig. 145I-J-K-L-M) et des profils stratigraphiques de la littérature (Malkovski, 1980, 1987 ; Zelenka, 1981 ; Bosak, 1987 ; Malzer et al., 1993 ; Bayerisches Geologisches Landesamt, 1996a, b ; Daldez, 2001 ; Geological Map of the Czech Republic, 1993), le domaine bohémien apparaît au Crétacé supérieur sous forme d’un ensemble d’îlots isolés soumis à l’érosion (Fig. 150). Ces derniers fournissent les apports détritiques (par exemple, l’île sudète d’après l’appellation de Klein, 1979 ; ainsi que le Harz) constituant les dépôts continentaux des séries cénomaniennes.
Le bassin polonais possède une importante accumulation de séries crétacées préservées sous les dépôts cénozoïques. Entre l’avant-pays sudète et le linéament Teisseyre-Tornquist (moitié SW du bassin Polonais), une épaisseur d’environ 1300 à 2100 m de dépôts crétacés supérieurs sont préservés (Fig. 151) dans une aire subsidente générée par l’inversion crétacée du linéament (Mazur et al., 2005 ; Fig. 114 et Fig. 151B). Dans la partie SW du bassin polonais, près de 1300 km3 de dépôts du Crétacé supérieur sont accumulés en prenant compte l’aire présentant la plus importante épaisseur de dépôt durant cette période. Daldez (2001) détermine également une épaisseur des séries du Crétacé supérieur (Fig. 142) voisine d’environ 2000 m dans l’ensemble de l’avant-pays sudète (Tab. 19).
Un changement du style de contrainte intracontinental à la fin du crétacé a induit l'inversion tectonique de la partie médiane du bassin Polonais ayant pour résultat le soulèvement d'un horst central NW-SE allongé le long de l'ancien axe du bassin (Fig. 114). La déformation compressive au Crétacé supérieur du bassin polonais a réactivé les accidents varisques, dont le linéament Teisseyre-Tornquist, et a facilité l’inversion de ce dernier (Mazur et al., 2005). En conséquence, un important espace d’accommodation a été généré de part et d’autre du linéament (bassins marginaux). Cet espace d’accommodation est comblé par des séries détritiques du Crétacé supérieur.
Le faciès détritique est compatible avec l’hypothèse d’un démantèlement des reliefs du chaînon des Sudètes dès le Crétacé inférieur. Ce type de faciès prédomine à la fin du Crétacé inférieur au Sud du bassin polonais. Ce même faciès détritique s’observe également dans l’ensemble du bassin Crétacé bohémien à partir du Cénomanien. Dès la fin du Crétacé inférieur et au Crétacé supérieur le chaînon des Sudètes (bloc des Sudètes et silésien) est soumis à une érosion de grande ampleur impliquant l’ablation d’environ 3000 à 4000 m de matériels (Fig. 151 et Fig. 155 ; Tab. 19) et correspond à environ 1100 km3 de matériel érodé réparti entre la moitié Sud du bassin polonais et le bassin Crétacé bohémien. Ce bilan des volumes érodés sur les Sudètes est inférieur à celui du bassin polonais et montre que l’importante érosion soulignée par les TFA est compatible avec le contexte sédimentologique des deux bassins périphériques.
Le soulèvement du Harz, souligné par les données TFA (Thomson et al., 1997 ; Thomson et Zeh, 2000 ; Jacobs et Breitzkreuz, 2003 ; Fig. 145-D), indiquent une exhumation et une érosion de cette région étalées entre la fin du Crétacé inférieur et le Crétacé supérieur (Fig. 155). Le bassin de Basse-Saxe connaît, aux mêmes périodes, une importante accumulation de dépôts crétacés détritiques (~1200 m : Fig. 142 ; Fig. 145B). La bordure méridionale du bassin Nord germanique marque également un arrêt de la subsidence (Fig. 145C). Les séries crétacées n’existent pas à proximité de la Thuringer Wald et peuvent indiquer une large inversion régionale incluant le bassin SW-germanique (plate-forme franconienne).
L’existence de cônes fluviatiles (Fichtelgebirge-Oberpfälzer : Schröder et al., 1997) atteste de la présence de surfaces émergées. Au Turonien-Santonien, les dépôts marneux et carbonatés dans le bassin Crétacé bohémien témoignent d’un environnement marin ouvert.
Le socle de l’Oberpfälzer Wald a connu une importante phase d’enfouissement au Crétacé supérieur atteignant les 1400 à 2500 m d’épaisseur (Fig. 150 ; Tab. 19).
Il possible que les aires définies comme émergées au Crétacé supérieur par les données TFA dans la Bohême centrale aient été recouvertes par une fine couverture sédimentaire de quelques mètres à centaines de mètres d’épaisseur (non détectable par la résolution des TFA). Le remplissage au Crétacé supérieur des karts du Barrandien (Bosak, 1985) prouve l’existence d’une transgression marine dans les régions centrales du massif. L’hypothèse d’une connexion entre le domaine boréal et le domaine téthysien est compatible avec les résultats de simulation TFA de même que Wiese et al. (2004) démontrent l’existence d’un bras de mer entre les deux domaines (mélanges faunistiques).
Au Crétacé supérieur, le front alpin progresse vers le Nord et la ligne mésogéenne (front de subduction depuis l’Ibérie jusqu’à l’Asie) prend forme. La tectonique en relais transpressif crétacée de la marge NW européenne (Fig. 143) a été dominée par une tectonique extensive (Vandycke, 2002) ; de même qu’un affaissement de grande longueur d’onde de la croûte en relation avec la formation des nappes austro-alpines (Malkovsky, 1987) peuvent expliquer la subsidence d’une grande partie du massif bohémien. Les directions horizontales des contraintes alpines évoluent selon un axe sud-nord (Fig. 43) par rapport au Crétacé inférieur (axe SE-NW ; Stampfli et Borel 2002).
Les données TFA permettent de réviser la géométrie des aires émergées dans le domaine bohémien notamment au Crétacé supérieur (Fig. 150). Les cartes paléogéographiques du projet Péri-Téthys (Dercourt et al., 2000) et notamment celles dessinées par Ziegler (1982) (Fig. 152) nécessitent par conséquent une nouvelle révision.
VII.2.2.5. Inversion au Crétacé terminal-Paléocène
Une deuxième phase d’inversion, avec érosion de 1000 à 3000 m de matériel (Tab. 18 ; Fig. 155), est identifiable à partir de la deuxième moitié du Crétacé supérieur, notamment dans l’Oberpfälzer Wald, l’ensemble de la bordure méridionale bohémienne, la bordure Nord du complexe plutonique centre-bohémien, l’Erzgebirge, et sur le rebord Sud des Sudètes orientales ainsi que dans les Sudètes occidentales (Fig. 153). L’absence de série paléogène et le contact discordant des dépôts néogènes sur les dépôts du Crétacé supérieur ainsi que sur le socle paléozoïque (Fig. 153) indiquent l’absence de sédimentation au Paléogène. Les surfaces d’érosion en sommet de séquence du Crétacé supérieur et les gisements de kaolinite (Migon et Lidmar-Bergström, 2001) confirment également une phase d’émersion au Crétacé terminal et au Paléogène inférieur.
La structure anticlinale de toute la région des Sudètes souligne l’importance géographique de l’épisode érosif mise en place du Crétacé terminal au Paléogène et isole plusieurs unités sédimentaires d’âge Crétacé supérieur (Fig. 151). Les données de maturité organiques sur les séries triasiques du bassin polonais indiquent un soulèvement généralisé à la fin du Crétacé supérieur (Resak et al., 2008 ; Fig. 145E). Les lacunes sédimentaires au Paléogène dans ce bassin témoignent également d’une phase de soulèvement (Daldez et al., 1995). Bien que l’importance des contraintes compressives a sensiblement diminué après le maximum de l'inversion tectonique, le style de contrainte est resté en compression comme indiqué par le horst central cénozoïque et les bassins marginaux développés de part et d’autre du linéament Teiseyre-Tornquist (Lamarche et al., 2003). En effet, le bassin polonais ne montre pas d’épisode subsident au Paléocène (Fig. 90B). L’épaisseur des séries cénozoïques n’excède pas 200 m (Daldez, 2001 : Fig. 142) et indique une relative stabilité du bassin, tout comme les Sudètes orientales, qui ne montrent aucune phase tectonique conséquente à cette même période de temps (absence d’érosion significative ; Fig. 155).
Le front orogénique alpin atteint la marge Sud de l’Europe centrale au Crétacé supérieur (Frisch, 1979 ; Tollmann, 1980 ; Trümpy, 1980 ; Debelmas et al., 1983 ; Ziegler, 1987). Le début de la déformation compressive dans l’avant-pays au Crétacé supérieur-Tertiaire inférieur coïncide avec des événements orogéniques majeurs dans les Carpathes et les Alpes orientales. Le paléogène correspond à la phase compressive laramienne provoquant l’inversion de l’avant-pays alpin sur une vaste aire géographique. Ces évènements orogéniques dans les Alpes orientales (Crétacé terminal-Paléocène) sont plus précoces par rapport aux Alpes occidentales (Eocène).
VII.2.2.6. Subsidence oligo-miocène
L’existence d’une importante accumulation de dépôts du Néogène inférieur pouvant dépasser les 1000 m d’épaisseur sur les bordures Sud et SW (Fig. 154) est démontrée par les données TFA (MTL < 11 µm). La proximité du bassin flexural nord-alpin, la subsidence accrue du bassin molassique nord-alpin, et la forte augmentation de l’apport sédimentaire causé par le soulèvement du prisme orogénique des Alpes au Néogène (Genser et al., 2007) peuvent expliquer l’hypothèse du dépôt molassique (actuellement disparu) sur les môles varisques Sud bohémiens. L’hypothèse d’un bassin molassique ayant transgressé d’environ une dizaine de kilomètres plus au Nord par rapport à sa limite actuelle est également vérifiée par la présence de pastilles résiduelles de Néogène détritique sur les régions bordières méridionales. L’apport détritique néogène en provenance de la Bohême est confondu avec celui des Alpes au niveau du bassin molassique.
Les reliques néogènes préservées dans les régions centrales du massif bohémien (Fig. 154) indiquent la présence d’un environnement fluvio-lacustre proche du niveau marin. Des incursions marines temporaires au Nord du bassin molassique ont remonté le long des paléovallées depuis le Sud et depuis les zones orientales du massif de Bohème lorsque celles-ci étaient encore situées près du niveau de la mer (Malkovsky, 1979 ; Suk, 1984).
Les épaisseurs d’enfouissement Néogène des bordures méridionales de Bohème sont compatibles avec les épaisseurs des séries néogènes s’observant sur les parties plus méridionales du bassin. Le Néogène (Miocène) du bassin molassique atteint une épaisseur d’environ 2500 à 3500 m à la base du front alpin (Malzer et al., 1993 ; Bayerisches Geologisches Landesamt, 1996a, b ; Tab. 19). Le Tortonien (Miocène moyen) constituant le sommet de la séquence néogène du bassin a été soumis à une érosion plio-quaternaire. Son épaisseur actuelle, atteignant encore 1000 m, laisse présager une épaisseur encore plus importante.
VII.2.2.7. Exhumation au Néogène supérieur
La néotectonique alpine est responsable d’une rapide exhumation mio-pliocène. Cette exhumation est particulièrement marquée dans les régions SW et méridionales du massif, où environ 1000 à 1700 m de matériels ont été érodés (Fig. 155). Ce grand volume de matériels érodés correspond au démantèlement du bassin molassique nord-alpin, dont l’aire d’extension était plus importante qu’aujourd’hui et recouvrait les régions du Waldviertel, du Bayerischer Wald ainsi que de l’Oberpfälzer Wald. Sa limite au Néogène inférieur se trouvait plus au Nord jusqu’au pied du massif de la Šumava et vraisemblablement jusqu’aux régions internes du massif. Le système de rias plus ou moins encaissé (Bosak, 1985) et l’ancien système de drainages (Ziegler et Dèzes, 2007) à cette période ont permis la transgression et le dépôt des séries néogènes vers les régions plus internes et septentrionales.
Des phases d’érosion ont affecté, au Néogène, uniquement les bordures Sud et Ouest du Massif bohémien. Les données TFA ne détectent pas d’importante phase érosive sur les bordures septentrionales. La stabilité de ces régions septentrionales, à cette période, souligne que la compression alpine ne s’est pas propagée au-delà des régions Sud et SW du massif.
VII.3. Comportement des noyaux centre-bohémien et brabançon
Entre la bordure orientale du bassin de Paris et les Carpathes, la lithosphère de l’avant-pays nord-alpin présente deux zones de plus grande épaisseur (Fig. 156) caractérisées par le massif du Brabant et les régions centrales du massif de Bohême possédant chacun une racine lithosphérique dépassant les 100 km de profondeur. Ces deux noyaux de plus grande épaisseur crustale n’enregistrent pas le même comportement au cours de leur histoire post-varisque.
Le cœur du massif bohémien possède un noyau lithosphérique anté-varisque plus épais et plus dense que ses régions périphériques (Fig. 82 et Fig. 156). Cette partie du massif est caractérisée par une relative stabilité géodynamique depuis la fin du Trias selon les données TFA. Les grandes déformations et soulèvement post-triasiques ont concerné essentiellement les bordures limitrophes de ce noyau rigide.
Le massif du Brabant est également caractérisé par un noyau lithosphérique plus épais que ces régions limitrophes (Fig. 52 et Fig. 156) et dont l’origine remonte au cycle calédonien. Ce dernier n’est pas resté stable après l’orogène varisque et les données TFA montrent un gradient d’âge plus jeune du bloc brabançon (<190 Ma) que le bloc ardennais (majoritairement > à 200 Ma). Un important soulèvement au Jurassique moyen responsable de l’érosion de 3000 m de sédiments post-siluriens est évoqué (Vercoutere et Van den Haute, 1993).
La comparaison entre le massif brabançon et les régions centrales du massif bohémien indique des histoires géodynamiques différentes. Les noyaux lithosphériques ne caractérisent pas systématiquement des zones stables dans les domaines intraplaques. Cette différence entre un noyau centre bohémien stable contrairement à celui du Brabant peut résider dans la constitution rhéologique et la structure de ces noyaux.
Cette différence de comportement du bloc brabançon par rapport au noyau bohémien peut s’expliquer par l’influence du rifting de la mer du Nord situé 200 km plus au Nord. L’effet de proximité de la mer du Nord a joué un rôle dans le soulèvement du Brabant ainsi que de l’Ardenne.
VII.4. Style de déformations de l’avant-pays alpin : exemple de la Bohême et de l’Ardenne
VII.4.1 Hypothèse de la tectonique en blocs structuraux
Les données TFA sur le massif bohémien montrent un contrôle très important des failles sur les mouvements verticaux. La faille du Midi séparant le bloc brabançon et Allochtone ardennais joue également un rôle sur les aires affectées par phases érosives.
En bohême, les données TFA renseignent les périodes de soulèvement et montrent une distribution qui coïncide avec les unités structurales majeures. Ces mêmes âges TFA illustrent un gradient concentrique avec un noyau ancien centre-bohémien supérieur à 210 Ma. Aucun gradient nord-sud dans les âges n’est observable. L’existence d’une séquence de déformation se propageant de plus en plus vers le Nord par l’effet de la remontée en latitude du front alpin n’est donc pas compatible avec les données TFA. Les données TFA indiquent que les déformations mésoalpines (fin Crétacé supérieur-Paléogène) et néoalpines (Néogène) ont affecté essentiellement les bordures du massif bohémien sans en affecter les régions centrales malgré la proximité du front orogénique. Le noyau centre-bohémien apparaît comme un obstacle à la propagation de la déformation.
L’existence d’un noyau protérozoïque au centre du massif bohémien (voire archéen d’après la Geological Map of the Czech Republic, 1993) avec une importante épaisseur de croûte atteignant 38 km (Bucha et Blizkovsky, 1994) et possédant un caractère dense et rigide (Hrubcovà et al., 2005), a gêné la propagation de la déformation sur la marge européenne nord-alpine. Celle-ci est restée concentrée sur la périphérie de ce noyau et a favorisé une déformation cassante plutôt que ductile. Ce comportement est comparable dans les régions Nord tibétaines (par exemple Thatcher, 2007).
Ce caractère cassant est responsable du compartimentage du massif bohémien par un réseau de failles majoritairement hérité de l’orogène varisque. La conséquence est la structuration en blocs du socle bohémien et le rejet vertical sous forme d’une série de horsts visibles dans la topographie actuelle. Selon les simulations de température, seules les bordures du massif montrent une exhumation majeure post-jurassique.
Les nouvelles données de ce travail, en appuie de celles de la littérature, démontrent que le style cassant est observable à l’échelle de l’Europe centrale au Crétacé et au Cénozoïque. Plusieurs arguments appuient cette observation.
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En Bohême, les données TFA montrent le style d’une déformation cassante plutôt que ductile à l’avant d’un front orogénique. En Ardenne, un gradient d’âges TFA entre bloc brabançon et l’Allochtone ardennais souligne le soulèvement de deux grands blocs structuraux distincts ;
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Dans les régions NW et Ouest du domaine bohémien, des données TFA montrent de rapides exhumations crétacées (Thomson et al., 1997 ; Thomson et Zeh, 2000) sous forme de structures en horst rattachées à des systèmes de rampes profondes (exemple du Harz : Hecht et al., 2003). Un compartimentage de la croûte par des grands linéaments tectoniques et différences de densité de la croûte inférieure sont décrits (Lamarche et Scheck-Wenderoth, 2005 ; Cacace et al., 2008) ;
VII.4.2. Essai d’interprétation de la propagation du front de déformation de l’orogenèse alpine sur son avant-pays septentrional
VII.4.2.1. Tectonique cassante et exhumation de blocs structuraux par le biais des accidents varisques
Les différentes régions de l’avant-pays nord-alpin au niveau de l’Europe centrale, avec le domaine bohémien inclus, n’enregistrent pas systématiquement des phases de déformation synchrones. Cette différence dans l’enchaînement des phases de soulèvement s’explique par le compartimentage du socle par des accidents tectoniques constituant un héritage structural du cycle varisque. Ce compartimentage du socle est décrit plus en amont dans le domaine bohémien. La disposition des grands accidents varisques (linéament Teisseyre-Tornquist, faille de l’Elbe, ligne franconienne), à l’échelle de l’Europe centrale, souligne également un compartimentage de cette marge sous forme de quatre grands ensembles structuraux parallèles selon un axe NW-SE (Fig. 157). Ces grands ensembles structuraux ont conditionné la localisation et le style de déformation lors des contraintes alpines.
VII.4.2.2. Régions affectées par la compression alpine entre le Crétacé et le Néogène
L’ensemble des données TFA de cette étude, combiné avec celles de la littérature au niveau de la plate-forme d’Europe centrale, indique distinctement que plus le front alpin progresse vers le nord au cours de son histoire, plus l’aire affectée par la compression est restreinte sur l’avant du front. L’exhumation affectant principalement les parties méridionales peut être reliée au « forebulge alpin » (bourrelet d’avant-pays), expliquant la concentration de la déformation néoalpine. Ce confinement de la déformation peut également être expliqué par la diminution de la compression alpine au Néogène. La formation des reliefs (prismes montagneux) restreint la propagation de la déformation sur des distances plus courtes.
Les données TFA sur la Thuringer Wald (cette étude ; Thomson et Zeh, 2000), sur les montagnes du Harz (Thomson et al., 1997 ; Jacobs et Breitzkreuz, 2003), sur le bassin de Basse-Saxe (Senglaub et al., 2005), ainsi que sur les Sudètes occidentales (cette étude) montrent une rapide exhumation dès le Crétacé supérieur (Fig. 145B, L) alors qu’à cette période le front de déformation alpin était situé plus loin vers le Sud (océan ligurien en phase de fermeture : Fig. 43). Ces régions septentrionales de la Bohême tendent à enregistrer un épisode d’exhumation au Crétacé plus importante en terme d’ampleur que les régions méridionales. Les Montagnes du Harz, la Thuringer Wald ainsi que les Sudètes se trouvent à des distances importantes du front alpin (de 300 à 600 km) essentiellement en subduction. L’aire géographique affectée par les déformations au Crétacé couvre donc une grande superficie et jusqu’aux parties septentrionales de l’Europe centrale, en relation avec la réactivation des grands linéaments varisques segmentant ces régions.
A la fin du Crétacé inférieur et durant le Crétacé supérieur, l’exhumation des régions de l’Europe centrale est contrôlée par la réactivation des grands accidents varisques (Ligne Franconienne, faille de l’Elbe, linéament Teisseyre-Tornquist, par exemple).
Comme l’attestent les histoires thermiques, la compression alpine au Crétacé supérieur provoque la mise en inversion des failles varisques. La propagation des contraintes au-delà du front de déformation ne semble pas être gênée par le môle bohémien. Cela peut être mis en relation avec la réactivation des accidents varisques majeurs couvrant de grandes superficies et assurant le transfert de la déformation sur des distances importantes. L’extension de ces accidents varisques couvrent une aire géographique pouvant atteindre 1000 à 1500 km de long (Fig. 157) alors que le massif bohémien présente un diamètre entre 300 et 400 km.
Au Paléogène-Néogène, les données TFA ne montrent pas de réactivation de ces accidents varisques, sauf pour la ligne franconienne. En effet, les Sudètes orientales et les régions centre-bohémiennes ainsi que les montagnes du Harz et le bassin polonais (limités au Nord par le linéament Teisseyre-Tornquist et au Sud par la faille de l’Elbe), n’enregistrent pas les phases mésoalpines et néoalpines (soulèvement indétectable par les TFA, car modéré). Les zones de déformations restent confinées au niveau du bassin molassique et de la bordure Sud et SW bohémienne pendant le Cénozoïque.
VII.4.2.3. Mode de propagation de la déformation
Dès le Crétacé inférieur, les grands accidents tectoniques tel que le système de faille de l’Elbe ou la ligne franconienne, par exemple, ont fonctionné selon un style décrochant en contexte compressif et sont responsables du soulèvement des régions adjacentes. Ces linéaments tectoniques parallèles entres eux se connectent aux systèmes de graben de la mer du Nord. La réactivation des contraintes transpressives du système de faille de l'Elbe est responsable de l’ouverture du bassin Crétacé bohémien (Bergerat, 1987 ; Zeigler, 1990) à la fin du Crétacé inférieur.
La multiplicité des aires inversées au Crétacé supérieur distantes du front alpin jusqu’à plus de 300 km est principalement en relation avec la présence des grands accidents varisques réactivés en failles inverses lors de la compression alpine. La distribution actuelle des contraintes dans la lithosphère montre que la compression horizontale peut être projetée depuis les limites de plaques jusqu’à une grande distance dans les domaines intra-plaques aussi bien continentaux qu'océaniques (Zoback, 1992), où ils peuvent donner lieu, selon leur importance et le comportement élastique de la croûte, à un large éventail de déformations intra-plaques.
Au Crétacé supérieur, il est improbable que les contraintes soient exclusivement transmises sur des distances aussi importantes par la couverture sédimentaire au-dessus d’un niveau de décollement. Il existe une possibilité que les contraintes soient transmises par une plus grande épaisseur crustale. La propagation lointaine de la déformation requiert un décollement profond à la base de la croûte supérieure, au-dessus duquel les contraintes sont transmises. Cette hypothèse est appuyée par les données TFA indiquant une exhumation commune au Crétacé supérieur des régions situées à plus de 300 km du front alpin, telles que la Thuringer Wald (cette étude ; Thomson et Zeh, 2000), le Harz (Thomson et al., 1997), et le bassin de Basse-Saxe (Senglaub et al., 2005). Il résulte de ce soulèvement des structures en horst générées par le biais de failles inverses.
Les données sismiques (Dekorp Basin Research Group, 1999) renforcent également l’hypothèse d’un décollement basal. En effet, ces dernières illustrent la présence de grandes failles, inclinées à environ 30°, s’enracinant jusqu’à la base de la croûte supérieure (système de rampe profonde jusqu’à ~20 km de profondeur ; Fig. 158-1). Les montagnes du Harz, par exemple, constituent une large écaille structurale dont le rejet s’opère au niveau d’un ancien accident varisque réactivé en faille inverse. Le modèle d’écaille structurale du Harz et de ses régions septentrionales a aussi été proposé par Hecht et al. (2003) (Fig. 158-2).
L’organisation et la distribution des accidents sur les régions occidentales de la Bohême (Fig. 157) permettent de faire ressortir différents modèles de failles compatibles avec l’hypothèse d’un décollement profond de la croûte supérieure (Fig. 159). Les régions du Harz, de l’Eifel (Est ardennais) ou encore de la Thuringer Wald, montrent des failles inverses (chevauchements profond : Fig. 159A) et des structures en pop-up (Fig. 159C) caractéristiques.
Ce décollement profond peut être lié au caractère stratifié de la croûte, comme le démontrent les données géophysiques réalisées sur la Bohême (CELEBRATION, 2000 ; Hrubcovà et al., 2005). La croûte autour du massif bohémien présente également plusieurs surfaces de réflexions sismiques soulignant des discontinuités verticales de densité de la croûte. L’absence de litage du bloc centre bohémien expliquerait sa stabilité.
La région du graben de l’Eger est structurée par des failles normales au Cénozoïque reliée un amincissement lithosphérique responsable de l'arc volcanique Bohémo-Silésien (Dudek et Elias, 1984 ; Michon et al., 2003) et est sans lien avec les phases compressives génératrices des structures en pop-up citées plus haut.
Lacombe et Mouthereau (1999) décrivent différents modèles pour expliquer la propagation de la déformation sur un avant-pays. Compte tenu des données existantes, le modèle en prisme imbriqué (Fig. 160A) apparaît comme étant le plus réaliste dans le contexte de la marge péri-alpine septentrionale selon un axe depuis le front alpin et le Harz en passant la Thuringer Wald. Ce modèle caractérise le cas d’une tectonique mixte de décollement superficiel et profond.
En partant du modèle de prismes imbriqués (Fig. 160A), plusieurs analogies se retrouvent sur la marge péri-alpine septentrionale. D’après la coupe N-S de la Bavière (Bayerisches Geologisches Landesamt, 1996a, b ; Fig. 160B), un décollement superficiel ainsi qu’un prisme sédimentaire déformé est observable (Fig. 160A-1 et Fig. 160B-1). La structuration du socle sous le bassin molassique et le bassin SW germanique est peu décrite dans la littérature. Néanmoins, plus au Nord, les profils sismiques à la latitude des montagnes du Harz montrent l’existence de grandes failles chevauchantes à vergence Sud s’enracinant jusqu’à 20 km de profondeur (Dekorp Basin Research Group, 1999 ; Deek et Thomas, 1995 ; Röckel et Lempp, 2003 ;Fig. 158-1). L’orientation et la géométrie de ces failles sont compatibles avec le modèle. La région du Harz et de la Thuringer Wald, caractérisée par ces successions de structures en horst, peut ainsi être assimilable à une partie d’une série de prismes imbriqués.
Avec l’hypothèse d’un décollement profond, un nouveau front se dessine et se différencie du front orogénique (l’allochtone). Chaque décollement est ramené en surface au niveau des anciens accidents (varisques dans le cas la marge nord-alpine) et pourrait correspondre à ce nouveau front. Dans ce cas de figure, le horst des montagnes du Harz (Fig. 158-2) est assimilable au front de réactivation le plus avancé dans l’avant-pays par rapport au front orogénique. Un deuxième front de déformations précédant le front orogénique, dont le transfert de contraintes s’effectuant par un plan de décollement en base de la croûte supérieure, peut ainsi être évoqué.
Pendant la collision entre l’Apulie et l’Europe, les contraintes compressives peuvent avoir été exercées et transmises, de façon intermittente, à travers les plaques continentales en collision. Si les déformations intraplaques peuvent être liées à des événements de collision dans les Alpes et les Carpathes, la transmission des contraintes demande un certain couplage entre le front orogénique et l’avant-pays. Aussi, dans la plaque dite “d’avant-pays” un découplage en profondeur est nécessaire pour accommoder le raccourcissement crustal associé à l’inversion des bassins et le soulèvement des blocs de socle. Les discontinuités intraplaques, telles que les rifts avec une croûte continentale fortement amincie, vont conditionner l’installation de la déformation dans ces zones avec des décrochements majeurs pénétrant l’essentiel de l’épaisseur de la croûte.
VII.4.2.5. Réalité du flambage lithosphérique et mécanismes de soulèvement à l’échelle de la plaque ouest et centre européenne
a. Hypothèse du flambage
Pour expliquer la propagation des déformations à l’échelle d’un continent, le modèle de déformations en flambage (par exemple Burov et al., 1993) sur la marge ouest-européenne a été proposé par plusieurs auteurs dont par exemple Wyns (1996, 1999), Guillocheau et al. (2000), Ziegler et al. (1995). Wyns (1999) propose que l’ouverture du Golf de Gascogne au Crétacé inférieur et la mise en compression de l’Afrique et de l’Europe (collision pyrénéenne et alpine) à l’Eocène ont induit dans la plaque européenne un flambage lithosphérique créant une antiforme de 500 km de large et haute de 500 à 700 m. Cette zone émergée a été soumise à l’érosion et à l’altération. La lithosphère de l’Europe de l’Ouest serait soumise à une déformation ductile de grande longueur d’onde par une succession de synformes et d’antiformes dont l’axe a évolué en fonction des directions de contraintes compressives (Fig. 161A-B). Guillocheau et al. (2000), Robin et al. (2000), De Wever et al. (2002), Wyns et al. (2002), argumentent sur la déformation de grande longueur d’onde entre les Pyrénées et la bordure NE du bassin de Paris.
Au niveau de l’Europe centrale, entre l’Ardenne et la Bohême, le mécanisme d’un flambage lithosphérique (Burov et al., 1993 ; Cloetingh et al., 1999 ; Gerbault et al., 1999) n’est pas clairement identifiable. Dans un modèle flexural, les longueurs d’ondes des zones de soulèvement peuvent atteindre les 600 à 1000 km. Compte tenu de l’ampleur géographique de ce style de déformation, le modèle de flambage n’est pas compatible à l’échelle des massifs étudiés, ces derniers ne dépassant pas les 150 à 350 km sur leur largeur (demi-longueur d’onde).
Au regard des résultats TFA, les profils sismiques ainsi que de la distribution des grands linéaments tectoniques dans l’avant-pays nord-alpin montrent que le style de déformation est clairement cassant plutôt que ductile. Ces données récentes montrent que la compression horizontale dans l’avant-pays alpin s’est accommodée par le biais de la réactivation d’accidents tectoniques hérités et par transfert de contraintes via un plan de décollement en base de la croûte supérieure (Fig. 162).
Le style d’une déformation cassante s’observe à l’échelle continentale par la présence de panneau crustaux (Fig. 157) et à l’échelle régionale, matérialisée par le soulèvement d’une mosaïque de blocs structuraux (Fig. 81). En effet, l’avant-pays Nord alpin est découpé par trois grands linéaments tectoniques (ligne franconienne, faille de l’Elbe, linéament Teysseire-Tornquist : Fig. 157), qui délimitent plusieurs ensembles de panneaux crustaux rigides et sub-parallèles entres eux permettant le transfert des contraintes vers le Nord et au-delà des grandes lignes de failles.
Néanmoins, à l’échelle de la lithosphère, l’hypothèse d’un flambage sur lequel viennent s’associer des grands accidents lithosphériques est possible (Fig. 162). La croûte supérieure et inférieure ne possède pas le même comportement mécanique. Le caractère cassant peut affecter principalement la croûte supérieur comme en témoigne l’enracinement de failles inverses jusqu’en base de croûte supérieure (Fig. 158-1).
La synforme de l’Europe centrale (matérialisées par la Baltique et le système de bassins d’Europe centrale) présente une croûte plus amincie (environ 26 à 28 km) avec un remplissage de 8 à 12 km de sédiments. Cependant, le remplissage de ces structures est essentiellement constitué par des dépôts triasiques et jurassiques (Fig. 142 et Fig. 162), impliquant que leur formation remonte avant l’initiation des contraintes alpines. Ces grands accidents qui encadrent ces « gouttières géosynclinales » constituent des structures héritées de l’histoire varisque et ne sont pas le produit de la compression alpine. La prise en compte de la structuration varisque, les hétérogénéités (épaisseur, rhéologie, par exemple) de la lithosphère ainsi les périodes d’accumulation sédimentaire, ne mettent pas sur le premier plan l’hypothèse d’une déformation en flambage consécutive à la mise en compression de l’avant-pays nord-alpin.
Les mécanismes de déformations de la lithosphère européenne résultent d’une combinaison de facteurs où le flambage serait un processus de déformation venant en superposition des autres processus tectono-structuraux. Le flambage lithosphérique n’est pas une solution unique à l’échelle de l’Europe pour expliquer la propagation des déformations et la localisation des aires soumises à l’érosion ou à la sédimentation.
b. Autres modes de déformations possibles
Plusieurs travaux proposent une diversité de modèles pour expliquer le contexte d’une Europe avec des régions en dépression et en dôme (par exemple : Lustrino et Wilson, 2007 ; Granet et al., 1995).
Un magmatisme anorogénique au Cénozoïque s’est développé dans les régions méditerranéennes et environnantes désigné collectivement sous le nom de la province CiMACI (Circum-Mediterranean Anorogenic Cenozoic Igneous). Les études de tomographie sismique globales et locales du manteau sous la province CiMACI ont indiqué la présence de panaches mantelliques (Hoernle et al., 1995 ; Granet et al., 1995 ; Sobolev et al., 1996 ; Zeyen et al., 1997 ; Zangana et al., 1999 ; Wilson et Patterson, 2001). Les expériences locales détaillées de tomographie dans le Massif Central de la France et la région de l’Eifel en Allemagne occidentale suggèrent que, localement, il ait existé des remontées diapiriques enracinées dans le manteau supérieur et qui ont participé au soulèvement régional.
Granet et al. (1995) expliquent le volcanisme par la présence d'une anomalie mantellique qui aurait nourri de nombreux diapirs de tailles réduites, à l'origine des différentes provinces magmatiques et bombements régionaux (i.e. Massif Central, massif rhénan, massif bohémien). La remontée du manteau anormal depuis le panache à 400 km de profondeur aurait pu se faire (1) selon un procédé comparable aux diapirs de sel, (2) par déstabilisation du panache lors de la collision alpine ou (3) suite à des instabilités mantelliques (Granet et al., 1995).
La lithosphère de l'Europe occidentale et centrale au Cénozoïque est caractérisée par des variations mécaniques latérales importantes de résistance en comparaison avec la lithosphère protérozoïque épaisse et homogène de la plate-forme de l'Europe de l'Est (Fig. 163). La lithosphère épaisse de la plate-forme de l'Europe de l'Est, du massif de Bohème, du massif de Londres-Brabant et du bouclier scandinave peut être expliquée par la présence d’une vieille lithosphère froide, tandis que le système de grabens cénozoïques européens coïncide avec un axe important de lithosphère amincie au niveau de la plate-forme de l’Europe du NW (Cloetingh et al., 2005b).
Ces variations mécaniques soulignent l’existence de couloirs de déformation à l’échelle du continent au Cénozoïque. La contrainte nécessaire pour déformer la lithosphère est moins importante depuis une ligne entre le front alpin et la mer du Nord (incluant le bassin molassique Nord alpin, le pourtour Ouest et sud-bohémien, le bassin SW-germanique, ainsi que le massif Rhénan et l’Eifel). Ces régions sont plus facilement déformables et permettent de transférer la compression. La déformation cénozoïque n’est pas détectée par les TFA au Nord de la Bohême et reste confinée sur ses bordures méridionales et occidentales. Néanmoins plus au NW, le massif Rhénan et le bassin de la Basse-Saxe enregistrent distinctement une exhumation néogène. Ces deux régions se situent dans la zone caractérisée par une lithosphère facilement déformable et permet le transfert des contraintes alpines. La bordure NE bohémienne et le bassin Polonais, stables au Néogène, sont dans la zone caractérisée par une lithosphère difficilement déformable.
Les zones exhumées au Cénozoïque, déterminées par les données TFA, s’observent en bordure immédiate des zones rigides (régions en bleu sur la Fig. 163). Ces zones rigides jouent un rôle de butoir par rapport aux contraintes compressives et engendrent l’exhumation du socle en périphérie.
Un autre argument qui ne met pas en avant une déformation homogène de la marge d’Europe centrale est le rôle du massif bohémien dans le blocage de la propagation du front alpin vers le Nord. En effet, comme vu plus en amont (cf. VI.11. et VII.3.), le massif bohémien possède un noyau lithosphérique épais (~36-38 km) et stable (âges TFA > 210 Ma indiquant une exhumation antérieure au cycle alpin). Le front alpin depuis les Alpes centrales jusqu’aux Carpathes n’est pas linéaire et continu. Le front alpin montre une déflexion en relation avec le noyau bohémien, celui-ci constituant un obstacle et un frein à l’avancée du front de déformation vers le nord. Le rebord occidental des Carpathes est parallèle à la bordure est-bohémienne, soulignant là encore une relation géométrique et par conséquent un lien génétique entre le tracé des fronts orogéniques et le comportement rigide du Massif de Bohême. L'analyse des paléocontraintes dans les Carpathes et les Alpes orientales démontre une rotation non-uniforme des segments occidentaux et orientaux du secteur (Fodor, 1995). Ces rotations ont été reliées à la tectonique extrusive de l'unité Est Pannonienne et au développement progressif d'une zone de cisaillement senestre lié aux poussées alpines et carpathiques à l’oligo-miocène. Compte tenu de la distribution des reliefs des Carpathes, il n’est pas irréaliste que cette déflexion pourrait être responsable de l’extrusion plus à l’Est des Carpathes (virgation des Carpathes orientales).
Un hiatus du front alpin s’observe entre les Alpes orientales et les Carpathes. Ce hiatus Alpes-Carpathes n’est pas caractérisé par un épaississement de la lithosphère. Zeyen et al. (2002) ont proposé l’absence d’un front de subduction à l’échelle de la lithosphère et l’existence d’un jeu d’une faille décrochante senestre expliquant le décalage N-S entre le front des Alpes orientales et celui des Carpathes.
Des études récentes sur les bassins Nord européens mettent l’accent sur l'assouplissement des contraintes tectoniques, plutôt que l’augmentation de la compression alpine pour expliquer l’inversion au Paléocène moyen de l’Europe et demande le réexamen de la source des contraintes que subit l'intérieur de la plaque européenne. Une relation de causalité entre le rifting continental de l'Atlantique Nord il y a 62 Ma et un changement brusque du style de la déformation intra-plaque dans le continent européen voisin est mis en avant et critique les concepts développés par les travaux de Ziegler (Nielsen et al., 2005, 2007).
VIII.5. Conclusion générale
L'objectif principal de ce travail est de caractériser et de quantifier les soulèvements ainsi que les mécanismes de déformation méso-cénozoïques des massifs varisques ardennais et bohémien et leurs relations avec l’avant-pays alpin. Cette étude fournit de nouveaux éléments afin de mettre en évidence et de proposer :
- la nature et l’épaisseur des roches érodées,
- la paléogéographie régionale,
- la « stabilité » relative de l’Europe au Mésozoïque,
- la relation entre ces massifs et les grands événements géodynamiques,
- les modalités de la transmission des contraintes ainsi que la propagation des déformations dans l’avant-pays alpin.
Les résultats traces de fission et (U-Th)/He obtenus au cours de cette étude, associés à ceux déjà publiés dans la littérature, ont permis, grâce à la prise en compte de données géologiques, sédimentologiques et aux données de paléoaltérations, d’apporter des contraintes à l’histoire post-varisque des massifs de l’Ardenne et de Bohême. Cette histoire est étroitement contrôlée par ces contraintes géologiques indépendantes qui apparaissent comme des jalons indispensables pour exploiter des données thermochronologiques de manière fiable et en accord avec le contexte géologique régional.
Ce travail a permis de replacer l’évolution de ces massifs dans le contexte géodynamique de la plaque ouest-européenne. Il s’appuie sur une production de données issues d’un vaste échantillonnage et sur une importante synthèse bibliographique à l’échelle des zones d’étude et des bassins de l’Europe de l’Ouest. Les épisodes de mouvements verticaux les plus superficiels de la lithosphère continentale ont été identifiés et replacés chronologiquement grâce à l’application des méthodes des traces de fission (TFA) et (U-Th)/He sur les cristaux d’apatite.
En fonction de leurs positions géographiques au sein de la marge Ouest européenne et de leurs différences structurales, les résultats TFA du massif ardennais et bohémien mettent en avant une histoire géodynamique assez différente.
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L’Ardenne possède des âges TFA homogènes et majoritairement supérieurs à 200 Ma, ce qui illustre une relative stabilité du domaine. La distribution des âges TFA est généralement homogène sauf au niveau de deux régions, le Brabant et le massif de l’Eifel, où les âges TFA sont plus contrastés avec des valeurs inférieures à 200 Ma. Les simulations plaident en faveur d’une accumulation sur le soubassement paléozoïque ardennais d’environ 1000 m de dépôts crayeux du Crétacé supérieur avec un maximum thermique entre le Santonien et le Maastrichtien. Le recouvrement du socle ardennais au Crétacé supérieur se déroule dans des conditions de haut eustatique, le maximum se situant à la transition Cénomanien / Turonien. De plus, il est nécessaire de considérer une subsidence forte de la partie septentrionale de l’Ardenne liée à un basculement selon l’axe varisque. Ces deux éléments expliquent que la couverture du Crétacé supérieur s’est développée à l’échelle régionale et qu’il est possible d’imaginer une continuité sédimentaire entre le bassin de Paris et le bassin Ouest néerlandais avec le dépôt sur le socle ardennais et brabançon. L’Ardenne et le Brabant ont certainement été recouverts par des sédiments éocènes avant de subir au Miocène un nouvel épisode d’altération et, très récemment, l’incision par le réseau fluviatile aboutissant au paysage actuel.
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Dans le domaine bohémien les âges TFA (<300 et >60 Ma) et (U-Th)/He (<270 et >60 Ma) sont très variés et montrent une distribution des âges TFA concentrique. Cette distribution est conditionnée par les accidents hérités du cycle varisque. Plusieurs régions du massif possèdent leur propre histoire thermique caractéristique. L’histoire thermique post-varisque illustre d’importants épisodes transgressifs au Jurassique, au Crétacé supérieur et au Néogène inférieur corrélés à l’extension téthysienne puis au cycle alpin. Une épaisseur d’enfouissement kilométrique (pouvant atteindre au maximum 2500 à 3000 m selon les régions en considérant un gradient géothermique actuel de 30°C/km) est mise en évidence sur les chaînons bordiers du massif qui sont actuellement dépourvus de sédiments. Ces phases d’enfouissement sédimentaire ont une ampleur variable selon les régions du massif. Ces différences peuvent être associées :
(1) à une couverture paléozoïque dont les fortes variations latérales d'épaisseur ont été induites par le réseau de failles ;
(2) à des variations d’épaisseur de dépôts sédimentaires dépendant de la paléotopographie ;
(3) à des dépôts marins du Jurassique supérieur et Crétacé supérieur actuellement érodés ;
(4) à des événements géodynamiques locaux (faille de l’Elbe, ligne franconienne, faille des Krusné Hory, front alpin).
Les résultats permettent d’affirmer que cette segmentation en unités structurales qui ont été définies pendant l'orogénèse varisque a continué de contrôler l'histoire de la dénudation ainsi que de la sédimentation pendant le Mésozoïque et le Cénozoïque. Les déformations mésozoïques et cénozoïques ont affecté seulement les bordures périphériques.
La déformation en Bohême présente un style cassant et correspond à la réactivation des accidents varisques en failles inverses générant l’exhumation différentielle d’une mosaïque de blocs structuraux. La principale particularité du domaine bohémien réside dans l’existence d’un noyau stable au méso-cénozoïque dans les régions centrales du massif auxquelles les déformations méso et néoalpine n’ont pas eu d’effet significatif.
Après une phase de pénéplanation au Trias, une couverture sédimentaire d’épaisseur kilométrique d’âge Jurassique, Crétacé supérieur, Néogène en Bohême et Crétacé supérieur sur les massifs Ardenne-Brabant, a existé mais cette couverture a été discontinue et d’épaisseur inégale en raison de paléoreliefs (multiplicité de dépocentres). Certaines régions centrales de ces massifs, relativement plus stables, ont connu un recouvrement sédimentaire de moindre importance.
Le recouvrement post-varisque des massifs de l’Ardenne et de Bohême par une couverture sédimentaire conduit à imaginer une vaste aire de dépôt marin sur différentes périodes du Mésozoïque à l’échelle de l’Europe de l’Ouest permettant l’interconnexion des grands bassins sédimentaires tels que le bassin de Paris avec le bassin Ouest néerlandais ou encore le bassin Nord germanique avec le domaine téthysien. Les phases successives de couverture sédimentaire ont été ensuite érodées au cours du Crétacé inférieur et du Tertiaire.
Malgré des différences d’histoires thermiques (contexte structural, paléotopographie), l’histoire post-crétacée des deux massifs s’inscrit dans les épisodes géodynamiques de l’Europe occidentale où l’inversion du Crétacé inférieur (rift de la mer du Nord, fermeture de la Téthys), du Crétacé terminal-Paléogène (collision alpine) et du Néogène supérieur (phase néo-alpine) sont mises en évidence.
Les nouvelles données de ce travail associées à celles de la littérature confortent l’existence d’une activité géodynamique importante et la propagation de contraintes tectoniques au sein de la marge européenne du nord-ouest depuis la fin du Crétacé inférieur. Les résultats TFA, notamment dans le massif bohémien et ses régions occidentales, permettent de proposer l’existence d’un compartimentage en blocs structuraux de la croûte, défini pendant l'orogenèse varisque, qui a continué de contrôler l'histoire de la dénudation durant le Mésozoïque et le Cénozoïque. Les résultats des simulations thermiques confirment que le socle, traversé par les structures héritées, s’est érodé de façon différentielle en fonction de la réactivation méso-cénozoïque de ces grandes discontinuités tectoniques. La réactivation de ces structures varisques a été initiée par les contraintes tectoniques du rifting de la mer du Nord à la fin du Crétacé inférieur mais aussi par les différentes phases de la compression alpine initiée également dès la fin du Crétacé inférieur au niveau de la marge de l’Europe centrale.
Au regard des résultats TFA de ce travail ainsi que de la littérature, la propagation des contraintes compressives dans l’avant-pays nord-alpin ne s’effectue pas de façon ductile. L’exhumation différentielle de blocs structuraux, l’existence en Europe centrale de grands panneaux crustaux, de linéaments de plusieurs centaines de kilomètres de long ainsi que de failles inverses profondes s’enracinant en base de croûte supérieure et de structures en pop-up, confortent l’hypothèse d’une déformation cassante de la croûte supérieure. Le transfert des contraintes alpines dans son avant-pays est compatible avec un modèle de prismes imbriqués nécessitant un niveau de décollement à la base de la croûte supérieure. L’hétérogénéité mécanique de la croûte centre- européenne souligne l’existence de grandes unités structurales rigides dépassant la centaine de kilomètres en longueur et peut également expliquer la propagation des contraintes alpines au-delà des grands linéaments tectoniques.
L’interprétation de la synthèse des résultats géophysiques et de la thermochronologie indique que la compression alpine est accommodée et transmise par la réactivation d’accidents tectoniques hérités de l’orogenèse varisque et par le jeu d’un plan de décollement en base de la croûte supérieure.
Les mécanismes de déformation de la lithosphère européenne résultent d’une combinaison de facteurs (structures héritées, rhéologique, variation mécanique, épaisseur de lithosphère par exemple) où le flambage, à l’échelle de la lithosphère, serait un processus de déformation venant en superposition des autres processus tectono-structuraux à différente échelle de la lithosphère.